AFBH-Éditions de Beaugies 
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Songe à ne pas oublier n°68

PÂQUES, 1950

« Pâques », lorsque j’avais 10 ans, c’était l’évidence d’une aurore éternelle. Non pas un avènement, ni même un événement, mais une émanation printanière du Temps.

Je ne sais absolument pas s’il s’agissait, en moi, d’un sens vaguement induit par les paroles et les pratiques chrétiennes, qui tissaient alors notre environnement familial et provincial. Ce climat pascal prédisposait en effet notre vision des choses à n’y percevoir que promesse, croissance, espérance. Mais ce que j’éprouvais était si parfaitement en phase avec la saison nouvelle, cette résurrection annuelle du cycle de la vie, que je ne saurais dire ce qui primait dans cet état de grâce du monde que symbolisait « Pâques » à mes yeux.

J’ignore également si ces « 10 ans » que je remémore étaient antérieurs ou postérieurs à la date effective de mon anniversaire, date à laquelle je fus mis en pension, dans une Institution catholique où les semaines et les jours étaient pétris de liturgie chrétienne. Les célébrations de Pâques en 1951, 52, 53… ont dû modeler mes impressions natives, en les pénétrant de leur allégresse rituelle. Et cependant, me semble-t-il, mes sensations ont précédé ces rituels. Ceux-ci n’ont fait que leur prêter une forme officielle, cérémoniale, de renaissance végétale du monde. D’autant que les semaines saintes et leurs offices si longs, dans nos froides chapelles d’avril, préparaient le grand « Ouf » des matins de Pâques. Quel contraste savamment élaboré ! Tout à coup, les alléluias et les volées de cloches célébraient pour moi l’événement des vacances de Pâques, le retour à l’air natal que j’allais respirer, la liberté de courir dans les champs et les bois, bref, cet élan de vivre qui donnait pleinement son évidence à mon sentiment d’exister pour l’éternité.

Il me semblait que la vie se donnait tellement à ma jeunesse que je pouvais en toute confiance me donner à ce qu’elle attendrait de moi. Je me souviens du « Chant de la promesse », dont la mélodie m’émeut toujours, tant elle me semble empreinte de nostalgies à jamais consolées. Ce chant était pour moi l’hymne d’un paradis déjà retrouvé. Je n’étais plus, en y joignant ma ferveur, qu’une ondée de pleurs d’enfant confiant, qui se sait avec certitude promis à la joie, un jour, plus tard, dans un lointain avenir...

Je me revois ou me ressens encore, revêtu d’une aube, lors de ma « Communion solennelle » en 1952. J’avais cet âge où l’on se sent intérieurement transformé par l’habit que l’on porte. Nous chantions le refrain de la promesse : « Je veux t’aimer sans cesse / De plus en plus ; / Protège ma faiblesse / Seigneur Jésus. » Je ne sais plus trop qui était ce « Seigneur Jésus » auquel on s’adressait de toute son âme. Je crois que l’objet précis de notre vouloir aimer importait moins que le mouvement de ferveur qui nous traversait. Notre adhésion allait peut-être moins au « Jésus » des évangiles, tel que nous l’enseignait le catéchisme officiel, qu’à une sorte de nature bienveillante et diaphane avec laquelle nous avions le sentiment d’être en phase pour toujours.

Et cette adhésion, en vérité, n’est pas tout à fait morte en moi.

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« Pâques 1950 » semble loin derrière ceux qui l’ont vécu, plus de soixante ans après. Et cependant, pour peu que l’on ausculte le passé vivant qui continue de se mouvoir en notre for intérieur, nous sentons bien que rien ne s’est effacé, et à quel point nos intuitions infantiles demeurent vives, en dépit des prestigieuses lumières de nos lucidités d’adultes.

Certain intellectuel, qui se prend parfois pour un brillant démystificateur des discours dominants, n’ignore pas qu’au fin fond de sa nature, il est resté un enfant de chœur.

Le Songeur  




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