LE MOT « CLASSIQUE » CHEZ LES CLASSIQUES
CLASSIQUE. adj. et n. (lat classicus, « de première classe, de premier ordre »)
1. Au XVIIe siècle, se dit d’auteurs ou d’ouvrages anciens de grande valeur, et donc dignes d’être imités et étudiés. Il s’agit là du sens latin : la société romaine était en effet divisée en classes (au sens de catégories sociales) ; les meilleurs ouvrages étaient réservés à la première de ces classes, dont les enfants devaient recevoir la meilleure éducation. Les auteurs de ces ouvrages servaient de référence, de modèles ; on les appelait classici scriptores : écrivains de première classe, classiques.
Le mot classique renvoie donc, au XVIIe siècle, aux ouvrages des anciens (et notamment latins) qui faisaient autorité et méritaient d’être enseignés, et non aux auteurs français que nous nommons aujourd’hui classiques (Molière, Racine, La Fontaine, etc.). Comme, en outre, le mot classe en était venu à désigner des ensembles d’élèves et, par extension, les lieux où se donnait l’enseignement, le mot classique s’entendit aussi au sens de « digne d’être étudié dans les classes ».
2. Au cours du XVIIIe siècle, le mot classique va s’appliquer aux grands auteurs du siècle de Louis XIV, en particulier ceux de la période 1660-1680. Ils seront considérés comme des modèles par Voltaire, par les encyclopédistes, etc.
L’art délicat de répandre des grâces jusque sur la philosophie fut encore une chose nouvelle dont le livre des Mondes fut le premier exemple [Il s’agit des Entretiens sur la pluralité des mondes de Fontenelle, paru en 1686] […]. Ce qui pourrait empêcher cet ouvrage ingénieux d’être mis par la postérité au rang de nos livres classiques, c’est qu’il est fondé en partie sur la chimère des tourbillons de Descartes.
Voltaire, Le Siècle de Louis XIV, chap. XXXII.
Cependant, le mot classicisme n’apparaîtra qu’au XIXe siècle, pour définir à la fois cette période dite classique et l’esthétique (liée à l’imitation des anciens) qui en est issue. Depuis, le mot classique (par opposition à tout ce qui peut apparaître comme moderne) a pris un sens très général : toute grande œuvre est ainsi nommée classique.
N.B. Le présent dictionnaire est centré sur la langue littéraire élaborée et fixée au XVIIe siècle, puis demeurée comme modèle dans les œuvres littéraires, bien au-delà du classicisme proprement dit, comme en font foi de nombreuses citations extraites d’œuvres du XVIIIe siècle. Ainsi se justifie l’emploi des expressions époque classique ou langue classique, pour couvrir un champ littéraire qui s’étend, en gros, de Corneille à Chateaubriand.
Mais nous pouvons ajouter à ce N.B. que ces emplois sont loin de s’arrêter à l’œuvre de Chateaubriand. L’exemple de Balzac, romancier réaliste situé au cœur du XIXe siècle, est caractéristique. Lorsque celui-ci écrit La Cousine Bette, un feuilleton dont chaque épisode est rapidement écrit pour paraître le lendemain, il use spontanément de nombreux mots dans le sens qu’ils avaient au XVIIe siècle. C’est notamment le cas de ces termes, relevés par Jacques Pignault : affriander, attachement, dérangement, facile, fantastique, coup de foudre, incessamment, prétendu, ridiculité, sortable, tempérament... Le lecteur peut ainsi se figurer que l’expression « coup de foudre » désigne comme aujourd’hui un amour subit et violent, alors qu’il s’agit encore en réalité d’un « événement désastreux qui atterre, qui déconcerte, qui cause une peine extrême » (Littré).
Il faut donc se méfier des catégories littéraires trop bien établies : même les auteurs dits « romantiques » se plaisent à parler la langue classique !