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Extraits du Dictionnaire portatif du bachelier

ALIÉNATION. n. f. Folie. Asservissement. Dépossession (de soi). La signification de ce mot part du double sens du latin alienus : « qui appartient à un autre, qui est autre ; qui est éloigné, étranger, hostile ». Le concept d’aliénation comprend donc toujours une idée de dépossession, d’appartenance à autrui, d’étrangeté (fût-ce vis-à-vis de soi-même), d’éloignement hostile. D’où la série de sens suivants :
Sens médical. Folie, aliénation mentale. État d’une personne dont l’esprit est égaré, devenu étranger à lui-même, et comme possédé par un autre esprit. La personne aliénée est étrangère à son environnement.
Sens juridique. Cession d’un bien ou d’un droit à une autre personne, cette dépossession se faisant à titre gratuit ou onéreux. Par extension, perte, abandon involontaire de ce dont on bénéficiait. S’aliéner quelqu’un : perdre sa confiance, le rendre hostile. Cet acteur s’est aliéné la sympathie de la foule.
Sens marxiste. Dans son travail, l’ouvrier est dépossédé de son activité créatrice au profit du système de production ; il « s’aliène » dans les choses qu’il produit, ne s’appartient plus, devient étranger à sa propre vie. De même, dans sa croyance religieuse, selon Marx, le peuple adhère à une idée de Dieu que la classe dominante (la bourgeoisie, le clergé) lui a mise dans la tête pour mieux le soumettre ici-bas, en le faisant rêver d’un paradis futur («La religion est l’opium du peuple») : il est « aliéné » par l’idéologie, la vision du monde qu’on lui a inculquée.
Sens sociologique général. Dans le sillage de Marx (lui-même inspiré de Hegel), le terme d’aliénation a été repris par de nombreux auteurs. Il est devenu synonyme d’asservissement économique, politique, religieux, médiatique, ce qui est sans doute une généralisation abusive. Il faut garder au mot son sens d’origine, appliqué à la conscience individuelle ou collective: il y a aliénation chaque fois que le sujet, conditionné par des idées venues d’ailleurs, croit penser personnellement alors que c’est «l’autre» qui pense en lui. De ce point de vue, on a pu établir plusieurs étapes dans le processus d’asservissement d’un peuple ou d’une classe sociale : la domination, acte brutal d’un pouvoir qui s’impose par la force; l’exploitation, système économique d’organisation de la servitude (l’individu a besoin d’obéir pour survivre) ; l’aliénation proprement dite, système d’assujettissement idéologique (l’individu se soumet «librement» en croyant agir dans son propre intérêt).
Voir Asservissement, Culture, Idéologie, Marxisme.


APHORISME. n. m. Formule ramassée qui exprime une idée ou un principe moral. «On ne commande à la nature qu'en lui obéissant» (Francis Bacon, 1561-1626). L'aphorisme tente de donner le maximum de force à une pensée, grâce à sa concision et à des figures de style comme l'antithèse, la métaphore, etc. Voir Adage, Maxime, Précepte. Au pluriel, le mot est parfois péjoratif : «Vous, avec vos éternels aphorismes!»


CINQUIÈME COLONNE. Par analogie avec les colonnes armées, à partir de la guerre d’Espagne (1936), on a nommé «cinquième colonne» les partisans de l’ennemi qui agissent traîtreusement à l’intérieur de la cité ou du pays attaqués(par la désinformation, l’espionnage, les attentats, etc.).


INGÉRENCE. n. f. Fait d’intervenir dans une affaire, de s’immiscer dans le domaine d’autrui ou de se mêler d’un problème qui n’est pas le sien. L’ingérence dans la politique intérieure d’un pays voisin. L’ingérence dans la vie privée d’une vedette.
Le devoir d’ingérence : l’obligation morale d’intervenir dans un pays étranger, en dépit de ses dirigeants, pour des raisons humanitaires (aider les victimes d’une guerre civile par exemple).


EXORCISER. v. tr. (sens propre) Chasser les démons d’une personne qui en est possédée par des «exorcismes» (pratique religieuse ou magique). (sens figuré) Délivrer quelqu’un du mal (moral) ou des tentations internes qui le menacent. La littérature exorcise mes angoisses. Dans Aurélia, Nerval peint ses hantises pour les exorciser. Ce sens est très voisin du sens du verbe Conjurer (délivrer d’un mal, écarter d’un danger ; neutraliser un mauvais sort).


MÉTAPHORE. n. f. (du grec meta, voir ci-dessus, et phoros, « qui porte ». Littéralement, « qui transporte en changeant »).
Figure de rhétorique (ou de style) qui consiste à désigner une réalité par un terme qui convient à une autre, en raison d’une analogie entre elles qui autorise cette substitution. Par exemple, j’emploierai le mot racine à la place du mot cause (les racines de la rébellion), les deux termes ayant l’idée d’origine comme point de ressemblance. La métaphore établit ainsi un rapport d’analogie entre diverses réalités, entre les différents domaines de la vie, du monde. Mais, contrairement à la comparaison (qui développe cette relation de ressemblance), la métaphore n’explicite pas l’analogie qu’elle opère : elle substitue directement un terme à un autre. Au lieu de dire « tes yeux sont bleus comme l’azur », la métaphore remplace le terme comparé (le bleu) par le terme comparant (l’azur), ce qui donne : « l’azur de tes yeux ». La métaphore est donc une comparaison implicite, directe, frappante. Les métaphores ne figurent pas dans la seule poésie (les écrivains peuvent tisser de multiples correspondances entre les choses en jouant sur les mots qui les désignent). Elles sont à la base même du langage : l’être humain, chaque fois qu’il doit désigner des réalités nouvelles, a tendance à les rapprocher de réalités déjà connues. Cette recherche d’analogies aboutit à de nombreuses métaphores entre les réalités matérielles et les réalités spirituelles (les lumières de l’esprit), entre les diverses sensations, entre phénomènes humains et phénomènes naturels, entre le concret et le figuré. Quand une métaphore devient habituelle dans la langue, on dit qu’elle se lexicalise. Voir Analogie, Anthropomorphisme, Correspondance, Figuré.
On appelle métaphore filée une métaphore qui se développe longuement (sur une ou plusieurs phrases) en poursuivant l’analogie sur laquelle elle se fonde, selon une sorte de logique interne à l’image. Par exemple, dans son sonnet « L’Ennemi », Baudelaire, ayant identifié sa jeunesse à un « ténébreux orage », se met à « filer » la métaphore du paysage qui symbolise ses états d’âme : il parle de « jardin », de « fruits vermeils » maltraités par la pluie, de « pelle », de « râteaux », de « terres inondées », de « sol lavé » et de « fleurs nouvelles », tous ces termes renvoyant à l’histoire de sa vie intérieure (et non à un tableau objectif !). Avec la métonymie, la métaphore est l’un des grands procédés verbaux qui constituent le langage. Voir Métonymie.


MÉTONYMIE. n. f. (du grec met(a) -, « ce qui est au-delà, ce qui succède », et onoma, «nom». Littéralement : transformation, changement de nom).
Figure de rhétorique (ou de style) qui consiste à désigner une réalité par un terme qui convient à une autre, en vertu d’une relation étroite existant entre ces deux réalités. Par exemple, au lieu de dire « les habitants de Paris s’endorment », on dira « Paris s’endort » : ce n’est pas la ville matérielle qui s’endort, mais ses habitants ; cependant, il y a une association étroite entre le contenu (les habitants) et le contenant (Paris) qui permet la substitution des termes.
• Il est essentiel de distinguer ici la métonymie de la métaphore. Alors que la métaphore repose sur une relation de ressemblance entre les choses assimilées (elles n’ont pas de lien objectif entre elles), la métonymie repose sur une relation d’association (il y a un lien nécessaire, objectif, dans la réalité, entre les choses dont l’une sert à désigner l’autre).
• La nature de l’association qui, dans la métonymie, permet de nommer une chose par un terme désignant une réalité qui lui est liée, est assez variée. Il peut s’agir d’une relation :
— de cause à effet : « boire la mort » pour « boire le poison » (qui doit entraîner cette mort) ;
— de matière à objet : « la toile » pour la peinture représentée sur la toile du tableau, ou « le fer » pour l’épée (ils ont croisé le fer) ;
— de lieu d’origine à une chose : « fumer un havane » (un cigare originaire de La Havane) ;
— de contenu à contenant : « boire un verre » (boire le contenu du verre) ; « une décision de l’Élysée » (de l’occupant de l’Élysée, c’est-à-dire le Président) ;
— de la partie au tout (ou l’inverse) : Saint-Étienne pour l’équipe de football de cette ville ; le premier violon de l’orchestre (pour le premier violoniste) ; le trône pour la royauté, l’autel pour l’Église, etc. C’est la plus fréquente des métonymies, qu’on nomme plus précisément synecdoque (voir ce mot).
• Cette liste n’est pas limitative. Elle montre que la métonymie repose sur un processus fondamental de la nomination qui, au lieu de désigner directement une réalité, l’évoque indirectement par association à une réalité contiguë. Selon le linguiste Jakobson, l’essor du vocabulaire ne peut se faire qu’à partir de l’analogie ou de l’association, c’est-à-dire par la voie métaphorique ou la voie métonymique. L’écriture et l’invention verbale des écrivains pourraient même permettre de distinguer ceux qui appartiennent au pôle métaphorique de ceux qui relèvent du pôle métonymique


PAROXYSME. n. m. (du grec para, «à côté», et oxus, « aigu, pointu »). Point culminant d’un phénomène, au sens propre (le paroxysme d’une maladie) comme au sens figuré : être au paroxysme de la joie. Le paroxysme des combats. Le paroxysme d’une éruption volcanique (son plus haut degré). L’adjectif correspondant est paroxystique. Rouge de honte, cramoisi de colère, il atteignait un état paroxystique. Mots de sens voisin : exacerbation ; phase suraiguë.


STOÏCISME. n. m. (à partir du grec stoa, « portique », lieu où Zénon enseignait la philosophie stoïcienne qu’il fonda).
Sens philosophique : doctrine de Zénon de Citium (340-263 avant J.-C.), qui influença profondément la culture antique. On en retient surtout l’extrême exigence morale, illustrée par les oeuvres de Sénèque, Épictète et Marc Aurèle. Bien qu’il existe de nombreuses variantes dans la pensée des philosophes stoïciens, on peut dire schématiquement que le stoïcisme part de l’idée que la Nature se confond avec Dieu. Vivre conformément à la Nature, vivre conformément à la Raison ne font qu’un, et sont à la base de la morale, de la sagesse, du bonheur. L’idée que développe alors Épictète est que toute existence se partage entre les choses qui ne dépendent pas de nous et les choses qui dépendent de nous. En ce qui concerne ce qui ne dépend pas de nous, il faut accepter et supporter, puisque rien n’y peut changer quoi que ce soit : « Veux ce qui arrive comme cela arrive, et tu couleras une vie heureuse. » En ce qui concerne ce qui dépend de nous, notamment la maîtrise des passions qui troublent l’âme (et peuvent en quelque sorte désordonner notre « nature » intérieure), tout est question de raison et de volonté : il faut apprendre à se détacher des désirs ou des douleurs (qui justement nous rendraient dépendants de ce qui ne dépend pas de nous), à placer le bonheur dans la vertu, et finalement, à être profondément en accord avec la Nature, dont l’ordre suprême aboutit en dernier ressort à l’harmonie. D’où la devise stoïcienne : supporte et abstiens-toi. Il ne faut pas oublier que la morale stoïcienne, qui suppose des attitudes héroïques en face du malheur, est d’abord une morale du bonheur, fondée sur la sagesse. Voir à ce propos Épicurisme.
Sens général : attitude de courage devant le mal et les malheurs, voire même d’impassibilité dans la douleur. Vigny l’exalte dans son poème « La Mort du Loup ». Cette attitude peut être adoptée par des personnes qui ne connaissent rien du stoïcisme comme philosophie. Dans cette épreuve, il s’est conduit avec un admirable stoïcisme. Au cours de sa longue maladie, il s’est montré constamment stoïque.
N.B. L’adjectif stoïcien peut renvoyer aux deux sens du mot. Pour la clarté de l’expression, il vaut mieux dire :
— « stoïcien » pour ce qui renvoie à la philosophie ou à la morale développée par le stoïcisme et ses défenseurs ;
— « stoïque » pour ce qui renvoie aux attitudes ou aux êtres qui ont un comportement digne de la morale stoïcienne en face du malheur, de la maladie ou de la mort.


TRANSGRESSER. v. tr. (littéralement : « passer par-dessus, passer outre »). Désobéir à une loi, enfreindre une règle, violer un tabou. Transgresser un ordre, un interdit moral, une norme sociale. Le mot transgression, dans une certaine littérature (surtout depuis les événements de mai 1968, en France), jouit souvent d’une connotation positive : la transgression fait plaisir à celui qui a l’audace de transgresser ; ce qui est transgressé est le plus souvent décrit comme un ordre oppressif ; en transgressant cet ordre, on se « libère » sans nuire à autrui… Bien entendu, tout dépend du contexte dans lequel le terme est employé.