Commander le Songe des Arbres et la Rumeur qui passe
Commander le Songe des Arbres et la Rumeur qui passe
[Le Fils de l’Arbre, qui a grandi non loin d’une autoroute, s’inquiète de son passé. Mais personne ne veut lui en parler. C’est alors qu’il fait la connaissance de la Rumeur…]
En fin de matinée, à l’heure où culmine l’insoutenable bruyance de l’autoroute, il tentait d’oublier son désarroi lorsqu’un étrange froissement – comme un trou d’air dans ce vacarme – remua sa frondaison. Une présence étrangère, à peine colorée, l’entoura. Elle exhalait à l’entour un parfum de muguet.
— Qui es-tu ? demanda-t-il à l’Inconnue.
— Je suis la Rumeur, dit la Rumeur. Tu ne le savais pas ?
— On me cache tout. Que fais-tu dans la vie ?
— Je passe, et dis ce qui se passe.
— Ah ? Et comment t’informes-tu ?
— Dès que j’entends dire qu’il se passe quelque chose, où que ce soit, j’arrive, j’écoute, et je m’en fais l’écho.
— Tu cours toujours ?
— Toujours ! Je n’arrête pas, je vole en tout lieu.
— Il se passe donc des choses, dans la région ?
— Pas grand’chose, à vrai dire. J’ai récemment appris que tu cherchais ta voie. Cela m’a amusée.
— Mais qui te… ?
— Tes confrères de l’autre versant : ils m’en ont touché un mot.
— Je ne leur ai jamais parlé de cela !
— Ils m’ont pourtant dit : « Il cherche sa voie. »
— Chercher sa voie, pour un arbre, cela n’a pas de sens !
— Détrompe-toi : il arrive que certains migrent.
— Ah ? Vraiment ?
Tout inclinait le jeune arbre à se méfier de cette enquêteuse. Mais ayant lui-même à mener son enquête, il ne devait négliger aucune piste.
— En vérité, expliqua-t-il, je voulais simplement savoir ce qui a pu me faire grandir ici. Toi qui vas partout, tu dois bien en avoir une idée.
— Oui, bien sûr, mais je rapporte tant de choses, petites et grandes, que j’en oublie beaucoup. Et puis, nous autres, rumeurs, nous naissons et mourons si rapidement ! De tout ce qu’elle a pu savoir, ma mère ne m’a transmis que des bribes…
— Comment, Rumeur, tu ignores l’essentiel de ce que tu propages ?
— Je ne suis pas la seule ! Et pour ne rien te cacher, la souvenance n’est pas mon fort. Cependant, je recueille parfois, en passant et repassant, quelques rudiments d’infos, des indices de faits probables, si bien que par exemple, te concernant…
— Me concernant ?
— On dit que tu es né d’une feuille.
— D’une feuille ? Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?
— Plus exactement, d’une graine enrobée dans une feuille, elle-même chargée de hiéroglyphes.
— On raconte n’importe quoi ! Ce n’est pas mon Étoile qui propagerait de telles inepties !
— Ton étoile ! Tu connais une étoile ? Méfie-toi des étoiles : elles ont de la hauteur, certes, mais elles sont trop distantes pour juger des choses de la terre. Tout ce qui brille n’est pas or. Moi, si je ne contrôle pas toujours ce que je répète, je suis au moins certaine de l’avoir entendu dire.
Et là-dessus, quelque peu froissée, et peut-être jalouse, la Rumeur disparut dans les airs, laissant le jouvenceau en proie à la plus grande perplexité.
Que lui arrivait-il ?…
Voir aussi la présentation sur le blog de l'auteur.