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Les Jeudis du Songeur (84)

QU’EST-CE QU’UN CON ?

C’est au nom du suprême précepte socratique que chacun d’entre nous doit se poser gravement la question. Méthodiquement, philosophiquement, objectivement.

Irrecevable serait l’expression d’un complexe revanchard du genre : « Le con, c’est celui qui me prend pour un con », ou une définition pragmatique de type : « Un con, c'est quelqu'un qui ne conduit pas comme moi. »

Comment donc orienter la recherche ?

À l’évidence, deux problématiques s’imposent au lexicographe qui réfléchit :

1/  Quelle lumière apporte au débat la dichotomie Nature/Culture ?

2/ Comment fonctionne la dialectique Sujet/Objet dans l’approche scientifique du phénomène ?

En tout état de cause, on évitera de se tromper de cible. Par exemple, en s’imaginant que la réplique « Casse-toi, pauvre con ! » vise la connerie, alors qu’elle fustige la pauvreté.

La première problématique tombe sous le sens, au point qu’elle ne manque pas de pulluler sur Internet. Un philosophe amateur l’énonce clairement : « Est-on conard par nature, ou par culture ? ». Pour certains, quand on est con, c’est pour la vie entière ; pour d’autres, on ne naît pas con, on le devient… À vous de choisir.

Encore faudrait-il préciser si l’on parle de l’être humain pris isolément ou collectivement. Un auteur n’envisageant que la seconde option a pris le parti de discriminer certains pays, je cite (en résumant) : « Certaines cultures produisent beaucoup plus de conards que d’autres. Ainsi, le Japon est pauvre en conards tandis que l’Italie en serait la terre de prédilection, avec l’exemple de Silvio Berlusconi, conard par excellence. Il en va de même pour les différences entre sexes. Si l’on trouve beaucoup plus de conards parmi les hommes que parmi les femmes (les secondes ayant plutôt tendance à être des salopes), c’est parce que les hommes sont plus souvent éduqués à s’affirmer et à se faire valoir, deux qualités indispensables à tout bon conard qui se respecte. »

Ça se discute. Personnellement, je préfère l’approche historique d’Yvan Audouard dans sa Lettre aux Cons (dédiée à Michel Droit, « qui connaît bien le problème »). Audouard part de cet axiome : « Le capital de connerie dont disposent les êtres humains à leur naissance varie selon les individus. Mais les chances de le faire fructifier sont égales pour tous. » Chacun se trouve donc responsable de son niveau en la matière. Pour une fois, l’Éducation nationale, dont je fus membre, n’a rien à se reprocher. Position éminemment démocratique, qui laisse au citoyen le choix entre s’auto-fructifier tout seul, ou s’adonner à la dynamique de groupe, aux effets multiplicateurs exceptionnels.

La seconde problématique est plus difficile à cerner. Elle pose que tout observateur, du fait même de son observation, influe sur la réalité qu’il croit objectivement constater. Ainsi, l’oscillation de ma connerie peut me conduire, selon les moments, à décréter que tous les hommes sont cons, ou qu’ils sont tous hyper-intelligents, ou encore qu’ils sont tous égaux en ce domaine, bien que certains le soient plus que d’autres.

Le scientifique avisé doit donc nettoyer son microscope intérieur, et se garder de croire à la génération spontanée d’une connerie qui ne serait que projection de la sienne.

Il doit aussi fuir l’excès inverse : nier le fait de la connerie par peur d’y choir. Et d’y choir justement, en tombant dans le déni de réalité du discours politiquement correct selon lequel « La connerie n’existe pas, elle n’est que une cessation (provisoire) de l’intelligence. » Voire !

Cet adage rassure pourtant en ce qu’il débouche sur le concept de « con intermittent » (comme ceux du spectacle). Un internaute s’y rallie avec fougue : « Tous les cons ne le sont pas à plein temps ! ». Ce qui ouvre un marché colossal à l’industrie pharmaceutique qui pourrait tenter de remédier au problème par des pilules innovantes. Encore faut-il que les patients désirent vraiment sortir de ce trou passager, et non s’y enfoncer. Il existe en effet une addiction à la connerie, qui, dit-on, se répandrait après l’obtention du baccalauréat.

On notera que cette problématique, pas plus que la précédente, ne permet de saisir en quoi consiste réellement la connerie. Pour compléter notre information, il nous faut aller plus loin, et chercher sur le Web ce que le Larousse n’explicite pas.

Complexité du phénomène.

Voici par exemple la leçon de Wikipedia : « Con est un mot polysémique et un substantif trivial qui désigne à l'origine le sexe de la femme. Au sens figuré, le mot con est aussi un mot vulgaire en général employé comme insulte dans les pays francophones, mais dans un sens très atténué, voire amical, dans le Midi de la France. Il désigne une personne stupide, naïve ou désagréable, de même que ses dérivés « conard » et « conasse ». Con a aussi un emploi impersonnel, souvent dépréciatif dans les expressions « jouer au con », « bande de cons », etc. Le mot dérivé « connerie » désigne une erreur, une bêtise, la stupidité en général. Définition basique, dont l’un des intérêts non négligeables est de souligner l’humanisme profond des gens du Sud à l’égard de leurs congénères ou condisciples. »

Intéressante approche du concept. Mais on ne comprend pas très bien en quoi l’insulte devient « humaniste » chez les gens du Sud, à moins de ne l’adresser qu’à soi-même.

Car les synonymes que nous livre Le Petit Robert ne laissent guère de doute sur la virulence du terme : « Idiot, imbécile, crétin, débile, conneau, couillon, enflé, enfoiré, gland, andouille… Petit con, gros con, tête de con, sale con, vieux con, dernier des cons, roi des cons, conasse, conne de la pire espèce, con comme la lune, con comme un balai »…

Impossible de croire qu’une telle abondance lexicale puisse ne pas reposer sur la réalité !

Élevons la question : si l’apport des lexicographes ne suffit pas, l’appel aux références littéraires nous convaincra de l’universalité de la chose. En voici un florilège :
« Mieux vaut ne rien dire et passer pour un con, que l'ouvrir et ne laisser aucun doute à ce sujet. (Sacha Guitry)
« Rien n'est plus jouissif à un « pas con » que d'être pris pour un con par un con. (Frédéric Dard)
« Traiter son prochain de con n'est pas un outrage, mais un diagnostic. (F. Dard)
« Le con meurt, mais sa connerie reste. Le con est si intensément con que l’instant arrive où il n’a même plus besoin d’être là pour être con. (F. Dard)
« Il n'est absolument pas nécessaire d'être con pour vivre parmi les cons. J'ai essayé, on peut ! (F. Dard)
« Les cons ça ose tout, c'est même à ça qu'on les reconnaît. (Michel Audiard)
« Je pense que le jour où on mettra les cons sur orbite, t'as pas fini de tourner. (M. Audiard)
« Un pigeon, c'est plus con qu'un dauphin, d'accord... mais ça vole. (M. Audiard)
« Je ne parle pas aux cons, ça les instruit. (M. Audiard)
« La connerie, c'est la décontraction de l'intelligence ! (Serge Gainsbourg)
« Il y a de plus en plus de cons chaque année. Eh ben cette année, j'ai l'impression que les cons de l'année prochaine sont déjà là ! (Coluche)
« La connerie est à la fois évidente, indémontrable, et infinie. Ce sont les attributs mêmes de la divinité. (Yvan Audouard)
« Si nos dirigeants nous prennent pour des cons, c’est pour se sentir représentatifs. (perso)
« Le con, c’est celui qu’on essaie (en vain) de ne pas devenir. (perso)

On voit que le sujet est loin d’être épuisé. Pour ma part, j’ajouterais à ces considérations scientifiques deux petites impressions (subjectives). D’une part, que l’existence du con isolé, lorsqu’on y pense, est aussi profondément émouvante* qu’est insupportable l’arrogance du con majoritaire. D’autre part, que l’on mesure souvent avec l’âge à quel point l’injure « Mort aux cons ! » peut être suicidaire. Mieux vaut clamer autour de soi « Vive l’intelligence ! », au risque d’être progressivement ostracisé. Car il est difficile de mettre à la fois de son côté les rieurs et les cons. Y compris quand ce sont les mêmes.

Le Çongeur  (11-02-2016)


* D’où une nouvelle Béatitude : Heureux celui qui aime ses frères en connerie, il sera digne de pitié !


(Jeudi du Songeur suivant (85) : « NOÉMIE »)

(Jeudi du Songeur précédent (83) : « LE BREL QUI EST LE MIEN »)