Conformément au projet annoncé le 6 juin, nous poursuivons ici la citation d’extraits de quelques mots-concepts qui sont expliqués dans le Dictionnaire portatif du Bachelier :
RAISON. n. f. (du latin ratio, rationis, « calcul ; faculté de calculer, de raisonner »).
1° Capacité propre à l’être humain de raisonner, de réfléchir selon les lois de la logique, d’établir des rapports entre les choses, de comprendre les phénomènes de l’univers en usant d’analyse et de synthèse, en distinguant les enchaînements, les causes et les conséquences, en ordonnant les observations et en en déduisant des lois. Il s’agit de l’activité intellectuelle la plus rigoureuse de l’esprit, la faculté de penser et de connaître. On oppose alors la raison au sentiment, à l’intuition, à l’imagination. L’adjectif qui correspond à ce sens du mot raison est le mot rationnel. La connaissance rationnelle s’oppose aux autres formes de la connaissance — intuitive chez l’artiste, « révélée » chez le croyant —, jugées « irrationnelles ». Voir Rationalisme.
2° Faculté de bien juger, de distinguer le bien du mal, le beau du laid, l’essentiel de l’accessoire, etc., et de se conduire selon ce bon jugement. Ce sens du mot raison (appelé aussi bon sens ou jugement à l’époque classique) n’exclut pas les aptitudes au raisonnement définies précédemment, mais les intègre au service de la vie morale et de la vie sociale : la raison devient une capacité globale de discernement et de maîtrise de soi, dans laquelle l’intuition, la compréhension au sens large, le sens de l’ensemble et le souci de la mesure viennent compléter la pure rigueur logique du sens n° 1. L’adjectif correspondant à ce second sens du mot raison est le mot raisonnable (à prendre au sens fort). C’est de cette raison que parle Molière lorsqu’il fait dire à Philinte :
La parfaite raison fuit toute extrémité/
Et veut que l’on soit sage avec sobriété.
Cette raison s’oppose ainsi essentiellement aux excès de la passion.
Les deux sens du mot raison, la « raison rationnelle » et la « raison raisonnable », sont complémentaires. L’esprit scientifique se constitue davantage de la « raison rationnelle » ; mais l’homme de science sait que celle-ci ne suffit pas à la saisie totale de la vérité, et qu’il y a d’autres voies de la connaissance (Pascal écrit : « Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas »).
L’esprit philosophique (y compris chez les penseurs cartésiens) associe les deux formes de raison. La « sagesse » vers laquelle il tend se fonde d’abord sur la rigueur rationnelle, mais sait la dépasser pour parvenir au discernement, à la connaissance supérieure, à l’art de se conduire avec justice. Voir Lumières.
3° Le contenu auquel aboutit l’exercice de la raison. Un argument que l’on formule (la raison du plus fort), un principe d’explication qu’on donne (la raison d’un phénomène), un but que l’on poursuit (la raison qu’on a d’agir) : tout ce qui justifie, légitime ou explique une réalité, une conduite, peut être appelé « raison ». Comme il y a de « bonnes » et de « mauvaises » raisons : la Raison (aux sens 1 et 2) doit toujours rester en éveil…
Le Songeur (05-09-2024)
(Jeudi du Songeur suivant (362) : « LA DEUXIÈME VIE DU DICTIONNAIRE PORTATIF DU BACHELIER » )
(Jeudi du Songeur précédent (360) : « ORDRE » )