AFBH-Éditions de Beaugies 
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Les Jeudis du Songeur (360)

ORDRE

Conformément au projet annoncé le 6 juin, nous poursuivons ici la citation d’extraits de quelques mots-concepts qui sont expliqués dans le Dictionnaire portatif du Bachelier :


ORDRE. n. m. (du latin ordo, ordinis, « rang, classe, succession, bon ordre »).

Disposition d’ensemble présentant une structure, un agencement naturel ou organisé, une cohérence dont l’esprit peut reconnaître ou rechercher le principe d’organisation ou de distribution. L’ordre peut être spatial (alignement, rangée, figure géométrique) ou temporel (succession dans le temps, ordre « chronologique ») ; naturel (l’ordre du cosmos, les lois de la physique) ou social (l’ordre public, les relations entre catégories de personnes, l’organisation en classes sociales) ; concret (le rangement d’une pièce, d’une maison ; la distribution des espèces vivantes) ou abstrait (l’ordre alphabétique, l’ordre de la phrase, l’ordre d’un discours, l’ordre d’une pensée, la logique d’une science, la méthode d’une recherche) ; descriptif (constatation d’un ordre naturel des choses, dans les divers domaines de la réalité) ou normatif (prescription ou recherche d’une organisation idéale, d’un principe d’ordre, d’un bon ordre :

— centré sur la sécurité, ordre social ;

— centré sur la raison, ordre logique ;

— centré sur la beauté, ordre esthétique ;

— centré sur le bien), ordre moral.

Dans ce premier sens général du mot « ordre », on peut observer le partage entre le domaine de la Nature et celui de la Culture (voir ces mots) : l’ordre est à la fois ce que l’esprit humain observe dans l’organisation du monde et ce que l’esprit humain produit ou hiérarchise dans les divers aspects de la civilisation.

2° Catégorie, classe, élément distingué dans la distribution d’ensemble observée précédemment. Dans ce second sens, ce qu’on appelle l’ordre n’est plus l’ensemble organisé ou « ordonné », mais l’une des parties spécifique (liée aux autres) de cet ensemble. Par exemple, dans les distinctions mêmes que nous venons d’opérer dans le paragraphe précédent, nous avons utilisé des notions qui sont elles-mêmes des « ordres » dans ce second sens : l’ordre spatial (par opposition à l’ordre temporel), l’ordre concret (car ce qui est abstrait n’est pas « du même ordre »), l’ordre esthétique (par opposition à l’ordre moral).

Précisons bien ici la distinction, car une expression comme l’ordre esthétique joue déjà sur les deux sens du mot ordre : c’est à la fois 1/ la recherche du meilleur ordre dans le domaine esthétique, 2/ le domaine esthétique (l’ordre du beau) par opposition aux autres domaines. Dans ce second sens du mot ordre (catégorie, classe), on trouvera par exemple les ordres de la société française sous l’Ancien régime : la noblesse, le clergé, le tiers état (l’ordre social, au sens n°1, qui forment ainsi trois ordres, au sens n°2) ; les diverses catégories professionnelles comme « l’ordre des avocats », « l’ordre des médecins » ; les différents styles architecturaux que sont « l’ordre ionique, l’ordre dorique et l’ordre corinthien » ; la plupart des « catégories » que l’esprit établit pour connaître ou analyser la réalité, en « ordonnant » le monde en différents domaines. C’est ainsi que Pascal, pour hiérarchiser les différentes dimensions de la vie dans lesquelles l’homme doit progresser, distingue trois ordres fondamentaux : l’ordre de la chair (qui regroupe les biens maté-riels, le luxe, le pouvoir, les apparences sensibles), l’ordre de l’esprit (qui est centré sur les réalités intelligibles, la recherche des lumières de la science) et l’ordre de la charité ou de l’amour (centré sur la sagesse, la dimension surnaturelle de la vie humaine, en relation avec Dieu). De même, en religion, les ordres correspondent à la hiérarchie des fonctions sacerdotales : le prêtre est « ordonné », il « entre dans les ordres ».

Impératif, injonction, commandement (donné par une autorité). L’ordre qu’on donne, dans ce sens, est en particulier illustré par la vie militaire. À vos ordres, mon capitaine ! Ne nous en étonnons pas : l’ordre au sens d’organisation, l’ordre au sens de distinction entre classes (entre les niveaux hiérarchiques), semblent essentiels à la discipline militaire. Ce qui éclaire le lien qui existe entre les divers sens du mot ordre : si l’on donne des « ordres », des « mots d’ordre », c’est pour maintenir l’ordre, c’est par amour de l’ordre. Double sens qu’on retrouve dans le verbe ordonner (1° mettre en ordre ; 2° commander).

Le Songeur  (29-08-2024)



(Jeudi du Songeur suivant (361) : « RAISON » )

(Jeudi du Songeur précédent (359) : « OBJET » )