Je ne sais plus trop ce qu’évoquait pour nous, il y a 7 décennies, l’expression magique : « JOUR de l’AN ». L’éclat d’une ère nouvelle ? La Renaissance du Monde ? À l’âge de huit ans, nous n’avions évidemment aucune conscience historique de la grande guerre qui venait de s’achever. Je ne me rappelle rien, sinon l’attente des étrennes qui allaient s’échanger au fil d’une longue réunion de familles. Ce qu’il me semble seulement voir encore, vaguement, c’est, par les fenêtres du salon qui donnaient sur la plaine infiniment gelée, un lointain soleil qui, dès midi, n’avait déjà plus la force d’escalader un ciel démoralisé… Ce qui me frappait plutôt, au moment du repas, dominant les remuements de couverts et les éclats des conversations de circonstance, c’était alors la voix des pères qui, abordant la question politique, soudain vaticinaient et pourfendaient, d’un commun accord
la toujours renaissante bande de Renégats
dont les hoquets titubent aux sommets des États.
Les lueurs du jour sombraient assez rapidement, avec les froissements d’emballages des jouets, dans les vapeurs d’alcool et de café. Si bien qu’à l’heure des adieux et des embrassades fatiguées, on pouvait dire qu’il ne se passait jamais rien, lors de ces fameux « jours de l’an » où s’exprimaient rituellement les vœux de toute une année…
En 1948, comme tous les ans, il n’y avait rien de nouveau sous le soleil, hormis -bien sûr- des chars dans la brume, rampant silencieusement un peu partout sur le planète…
En 1948, il n’y avait rien de nouveau sous le Soleil, hormis l’immense Progrès qui nous attendait, voulait-on croire, avec la paix.
En 1948, lumineusement, Bernanos venait d’écrire La France contre les Robots, tandis qu’Orwell allait bientôt publier 1984.
En 1948, l’ONU allait proclamer à Paris La Déclaration universelle des Droits de l’Homme, dont chacun connaît les effets depuis…
En 1948, les hommes, déjà, maîtrisaient la puissance atomique.
En 1948, comme aujourd’hui, tous les espoirs étaient permis.
Le Songeur (01-01-2019)
(Jeudi du Songeur suivant (186) : « UN NOUVEAU SYMPTÔME » )
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