D’après ARAGON*
[Léo Ferré, en choisissant de chanter les meilleurs poèmes d’Aragon, a fait croire que tous ses recueils étaient de la même qualité, et notamment Les yeux d’Elsa. Il n’en est rien. Rien de plus artificiel que la poésie d’Aragon, dont les artifices apparaissent vite au grand jour : anaphores faciles, pseudo-lyrisme de vocatifs à tout bout de champ, références littéraires dans la gangue d’expressions familières, métaphores sans mesure feignant de renouveler des images éculées, absence de ponctuation pour faire fluide, cul–te bateau de la femme idéalisée, allusions savantes parfaitement obscures, floraison de chevilles paresseuses, et j’en passe, – autant d’ingrédients que fait ressortir ce pastiche très précis de Georges-Armand Masson*…
Lisez et souriez !]
Tu m’as dit tu m’as dit Aragon prends un siège
Et me donne un baiser n’attends pas à demain
Nous n’irons pas au bois ce matin car il neige
Assieds-toi dans le fauteuil beige
Prends du papier de l’encre une plume un sous-main
Tu m’as dit tu m’as dit Comment se peut-il faire
Toi qui chantas mes yeux mes seins mon nez mon cou
Que tu n’aies pas encor célébré mon derrière
Pourtant la semaine dernière
Tu m’avais déclaré que tu l’aimais beaucoup
Et je t’ai répondu Mon amour sois sans crainte
Je ne l’ai pas perdu de vue un seul instant
J’en connais les contours sa Majesté m’est sainte
Et j’en ai déjà pris l’empreinte
Mais qu’il attende un peu chaque chose en son temps
Je dois finir d’abord la tâche commencée
Or depuis hier Elsa ce sont tes pieds charmants
Qui pénètrent mon cœur assiègent mes pensées
Entends la marche cadencée
Des vers qui pour les peindre arrivent posément
On dira Qu’ont-ils donc de rare et d’exemplaire
Arrête mécréant arrête un peu le bras
Tombe aux pieds de ces pieds qui font si bien la paire
Courbe ton front dans la poussière
Apprends que tous les pieds ne se ressemblent pas
Je le proclame en vers dodécasyllabiques
Il faut immédiatement et sans délai
Qu’ils soient par notre quatrième République
Classés monuments historiques
Comme les Alyscamps et le petit Palais
Plus que les pieds d’Elvire et que les pieds d’Hélène
Plus que les pieds d’Europe et les pieds de Léda
Ils sont beaux ils sont grands dans leurs sabots dondaine
On dirait qu’ils viennent d’Ukraine
Comme a dit Machinskov hier dans la Pravda
Je sais que de ces pieds un auteur téméraire
A médit l’an passé, mais il me le paiera
Je lui ferai sentir le poids de ma colère
Il ira mourir aux galères
Je ne plaisante pas sur ce chapitre-là
Pour trouver les pareils je le dis sans ambages
On chercherait en vain jusqu’aux Tuamotou
Ils ont même visage ils ont même lignage
Ils sont à peu près du même âge
Chacun d’eux a cinq doigts ce qui fait dix en tout
Quant tu vas quand tu viens aux champs à la baignade
Je crois voir les Gémeaux ou les frères Ajax
L’un sculpte l’idéal et l’autre se balade
C’est Oreste qui suit Pylade
C’est Achille ou Patrocle avec l’ami Bidax
Ô le bruit de tes pieds lorsqu’il pleut sur la ville
Dans leurs lamés d’argent dans leurs gaines de box
Qu’il est doux de les voir aux bals de Belleville
Ou sur les remparts de Séville
Danser la Carmagnole ou picorer les fox
C’est pour leur ressembler qu’en pompier je m’habille
Que mes vers assagis ne vont plus de travers
Leurs pieds avec les tiens ont un air de famille
Tes chevilles sont mes chevilles
Je ne mets plus Elsa ma culotte à l’envers
Quand par les soirs d’hiver de l’un d’eux tu te mouches
Ils ont parfois glacés ainsi que des sorbets
Lors pour les réchauffer retirant leurs babouches
Je les mets tous deux dans ma bouche
Et leur trouve le goût des biscuits Olibet
Ils sont ma passion ma rage mon délire
Est-ce l’un que j’admire et l’autre qui me plaît
Buridan Buridan je ne saurais le dire
Fût-ce même pour un empire
Mais qu’ils ceignent mon cou mon bonheur est complet
On ne peut pas courir quand on n’a plus de jambes
Si je n’ai plus tes pieds je ne puis faire un pas
Il me faut les toucher les sentir dans la chambre
M’assurer qu’ils sont bien ensemble
Savoir où sont tes cors le soir au fond des bas
Mets tes pieds sur mon front mets tes pieds sur ma tête
Ils me protégeront ils seront si j’ai peur
Des fantômes du loup du vent de la tempête
Ma nourriture et ma retraite
Mets tes pieds dans le plat et le plat dans mon cœur
Soyez bénis ô Pieds qui me donnez la vie
La gloire la vertu la domination
Si je vous perds je perds la boule et ma patrie
Veuillez agréer je vous prie
L’assurance de ma considération
Que de fois par les nuits d’angoisse aux heures graves
En vous croquant radis à même le ravier
J’ai dit au piano Rentre dans tes octaves
Et m’inspirant de thèmes slaves
Joué des toccatas sur ce rose clavier
Plus tard quand je serai très vieux à la chandelle
Je dirai J’étais là Tous deux vous m’écoutiez
Elsa se triolait en lisant Aulu Gelle
Pieds vos plantes étaient plus belles
Que les palmiers du Sud et que vous cocotiers
Ils volent dans l’azur ces pieds hélicoptères
Jusqu’au septième ciel ils emportent nos corps
Mais le silence est d’or et le reste est mystère
N’éveillons pas le Sagittaire
Je n’en dis pas plus long nous sommes bien d’accord.
Texte original reproduit par :
Le Songeur (23-03-2017)
* Georges-Armand Masson est un talentueux journaliste, écrivain et peintre français (29-05-1892 / 01-11-1977). Le poème ici reproduit est extrait du recueil À la façon de… (Pierre Ducray, 1950, Préface de Paul Rebout). Y sont pastichés une vingtaine d’auteurs de cette époque, parmi lesquels Céline, Éluard, Kafka, Mauriac, Claudel, Montherlant, Sartre, J. Green… G.-A. Masson récidivera avec un nouveau recueil intitulé : C'est pas beau de copier. Nouveaux pastiches de Corneille à Minou Drouet (Amiot, 1956).
(Jeudi du Songeur suivant (126) : « VERS UNE RELANCE DU TEXTILE FRANÇAIS ! » )
(Jeudi du Songeur précédent (124) : « RÉPONSE À BOBBY » )