AFBH-Éditions de Beaugies 
AFBH

La véridique histoire

du

CÉRÉBRO-SCRIPTEUR


— 5 —

Comment le Cérébro-Scripteur en vient à troubler son inventeur par de surprenants effets…

(Episode précédent))


Jean-Pascal se sentait fort heureux d’être à ce point compris par son épouse, ce qui n’arrive pas forcément à tous les maris pensants.

— En vérité, acheva-t-il, cette « traduction » est ce qui m’a pris le plus de temps. Et je n’ai pas fini. Pour chaque vocable, il m’a fallu me centrer mentalement sur sa sonorité, comme si je l’entendais en silence, puis enregistrer l’onde produite. Sitôt après, je visualisais sa graphie, et j’enregistrais. Puis alors, intensément, je pensais à son sens, et là encore j’enregistrais le flux électronique correspondant. Et enfin, je croisais et liais ces trois signaux en un seul segment électromagnétique bien scellé, une pulsation iota spécifique, un vrai bijou tridimensionnel cristallisant une pensée-vocable, unique, irréductible à toute autre, sitôt numérisée et classée dans le lexique de base du Cérébro-scripteur, donc immédiatement mémorisée dans mon ordinateur.

Il y eut un long silence. Jika se représentait l’immensité de ce travail, et pressentait les appétits multiples qu’il pourrait susciter, les risques de contrefaçons, etc

— Et si un ordinateur espion, dit-elle tout à coup, t’avait suivi à la trace ? S’il avait pu capter chaque élément de ta pensée numérisée ?

— Impossible ! Tout est crypté. Tout ce que j’établis est spécifiquement adapté à mon cerveau, qu’il en vienne ou y retourne, et ne peut être saisi par un autre.

— Tu veux dire : par un autre ordinateur ?

— Ni par un autre cerveau, ni par un autre ordinateur ignorant mes codes personnels. J’ai d’infranchissables mots de passe. La version imprimée n’est pas signée : je suis seul à en connaître l’origine cérébrale et mes paramètres d’auteur. Je peux pareillement coder la lecture des pensées d’un autre organe cérébral, le tien par exemple, en captant et cryptant les diverses ondes qu’il émet et reçoit. Mais quel boulot !

— Fantastique ! Mais une fois ces enregistrements fichés dans tes mémoires, sont-ils assez clairs ? Te faut-il les corriger ? Comment les déchiffres-tu ? Tu les imprimes, je suppose…

— Te voilà bien curieuse !

— Si une épouse n’est pas curieuse, qui le sera ? Moi, humble traductrice, moi qui crois penser, en tant que femme de sexe féminin, je suis vraiment curieuse de savoir ce qui se pense en moi !

— Rien de plus légitime. Encore faut-il, ma chère, interpréter. Car la pensée spontanée n’est pas limpide. Nos phrases mentales comportent toujours quelque chose d’inachevé : les anacoluthes et autres incorrections sont légion ! À mon logiciel lexical, j’ai dû intégrer des éléments grammaticaux et syntaxiques indispensables à la bonne restructuration du discours qui, sans fin, jaillit de nos neurones indisciplinés.

Après cette magistrale leçon, Jean-Pascal Félix sombra dans une longue méditation. S’il se réjouissait d’avoir apaisé les inquiétudes de Jika, et même suscité en elle d’insatiables curiosités, il repensait avec perplexité aux supposés rêves que, dans sa récente nuit, le Cérébro-scripteur avait tout de même su déceler, traduire, et imprimer.

Avec la permission de Jika, il décida de se livrer à une petite sieste réparatrice d’un quart d’heure. Il s’installa dans le Voltaire de son bureau, curieux de tester une nouvelle fois son appareil, en le reliant, câble par câble à l’ensemble de son système informatique, imprimante comprise.

Après quelques instants de réflexion éveillée, puis latente, il s’assoupit une dizaine de minutes.

Et c’est alors qu’il sursauta, stupéfié par les bruits saccadés de son imprimante. Elle venait de sortir 103 pages, en ce seul laps de temps !

(À suivre)


Le Songeur  


(Episode suivant de la Véridique histoire du Cérébro-Scripteur)