Je songe et me demande parfois si je ne cache pas, sous un féminisme de bon aloi, un fond de misogynie bien tempérée. Je suis en effet surpris de l’agrément que j’éprouve à l’écoute de certaines maximes taquinant la gent féminine, par exemple celle d’un Sacha Guitry déclarant : « La plupart des hommes ont ce qu’ils méritent ; les autres sont célibataires. »
Cela n’exclut nullement, bien au contraire, l’émotion, l’intérêt, l’attachement, la tendresse, le ravissement que font naître en moi les personnes de sexe opposé : après tout, ce sont elles qui font ma vie. Je ne les déteste vraiment que lorsqu’elles se montrent par trop masculines, et d’ailleurs, j’abomine hautement les machos et autres phallocrates.
La « misogynie » ne serait-elle qu’une forme de tendresse refoulée ? Le caractère périlleux de ces propos ne m’échappe pas. Mais je ne vois aucune raison de les taire, n’étant sans doute pas le seul à les ruminer. Et j’esquisserais volontiers, au risque de forcer le trait, ce que pourrait être le discours auto-justificateur d’un misogyne imaginaire :
« Petit enfant, je trouvais si belles les petites filles que je n’en revenais pas. Leur étrangeté m’intimidait. Je ne savais comment à la fois jouer avec elles et me défaire de cette attirance. Alors, je les taquinais, avec d’autant plus de maladresse que j’étais touché de leur vive beauté.
Adolescent, mon symptôme s’aggrava. Je me sentis plus que jamais époustouflé et sans défense devant le mystère de ces jeunes filles, si fragiles en apparence, mais sachant si bien jouer de leurs charmes, user de leurs armes. Incapable de déjouer leurs ruses, je versais alors dans une misogynie de moraliste classique stigmatisant la rouerie féminine. J’ironisais, donc : c’était le seul moyen de taire mes inclinations, de protéger ma faiblesse. J’envoyais des piques, faute d’oser les caresses.
Mari et chef de famille, père d’adorables filles et, qui plus est, homme de gauche, je ne pouvais pas persévérer dans cette misogynie de pacotille. J’affichais alors un féminisme ardent, déguisant ma tendresse en autorité protectrice. Je défendais avec force le prétendu « sexe faible » , non sans éprouver un malin plaisir le jour où j’appris qu’à l’âge classique, on employait plutôt l’expression « sexe imbécile »… Et comble d’ambiguïté, prétextant parler au second degré, je me surprenais parfois à proférer des formules provocatrices, disant par exemple : “À seize ans, j’étais misogyne par préjugé ; maintenant, je le suis par expérience.”
Bientôt grand-père, et prêt à redevenir le jouet de ces jeunes créatures dont le moindre regard vous transporte ou vous foudroie, je cherche chez les grands auteurs de quoi m’armer et réarmer. Sur le modèle de Chamfort écrivant : “Tout homme qui n’est pas misanthrope à 40 ans n’a jamais aimé les hommes”, je vais clamant : “Tout homme qui, à 60 ans, n’est pas misogyne, n’a jamais aimé les femmes.” Ou encore, je m’adonne à l’amour-vache en déclarant : “Je t’aim-meuh”. Plaisanterie qui n’amuse que moi, évidemment. On se protège comme on peut.
Mais enfin, une chose est sûre : si les femmes étaient aussi misanthropes que je suis misogyne, elles aimeraient follement les hommes ! »
La misogynie n’est qu’une défense spontanée, faiblarde et vulnérable, face à l’infinie capacité de séduction de la gent féminine.
Contrairement au machisme qui, lui, n’exprime jamais que la stupide arrogance d’une paire de couilles qui se croient en or.
Le Songeur
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