AFBH-Éditions de Beaugies 
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Songe à ne pas oublier n°54

LES GENS AIMENT ÇA

Je songe que je n’aime guère « les gens qui aiment ça », que j’aime encore moins le « ça » des « gens qui aiment ça », et que je déteste suprêmement ces faiseurs d’opinion, journalistes ambitieux, animateurs sans dignité ou publicitaires corrompus qui vont disant, pour légitimer leur entreprise de formatage délétère : Les gens aiment ça !

Candeur perverse des médiaticiens, qui nomment communication leurs conformismes ! Cynisme de ces prédateurs sociaux, qui fondent leur illusion de pouvoir sur l’abêtissement des masses ! Tartufferie des médiocres en posture dominante, qui confondent démagogie et démocratie ! Et qui vous reprochent de « ne pas aimer les gens » si vous n’aimez pas ce qu’ils tentent de faire « aimer » aux gens, c’est-à-dire précisément : ça !

Quoi, « ça » ? Eh bien, globalement, la soupe médiatico-publicitaire qu’ils servent au public. Ces spectacles « ciblés » pour une audience dont on craint qu’elle ne décroche si on la fait réfléchir. Cette rythmique qui fait prévaloir la pulsion sur la pensée. Cette euphorie débile qui fait applaudir des gens dont les rires, enregistrés, servent à en faire rigoler d’autres (ah, ces bêtisiers sans cesse resservis !). Ces pseudo-altercations de « vedettes » qui « se taclent » mutuellement d’une émission à l’autre. Ces séquences de transgression des tabous millénaires, ou à l’inverse, ces scandales consensuels à l’égard des provocateurs qui heurtent le « politiquement correct ». Car le ça qu’on offre en pâture aux gens se constitue autant de goûts que de dégoûts, aussi convenus les uns que les autres. D’où cette pluie de faux débats, de pseudo-événements, de scoops-bidons, et de sondages truqués faits pour conférer au peuple – au sein de sa servitude dévoratrice – la certitude illusoire de son Opinion souveraine.

Or, les acteurs de cette « pipolisation » du people ne font pas que mépriser leurs victimes satisfaites. Ils condamnent dans la foulée les rebelles qui osent dire qu’ils « n’aiment pas ça ». Les gens aiment ça, mais pas vous ? Vous êtes minoritaires ! Comment : vous allez contre le goût du public, vous n’aimez pas le bonheur, vous n’aimez pas la modernité ? Vous êtes réacs ! Vous êtes archaïques, coincés, passéistes, fascistes. Si vous refusez d’être de votre époque, vous n’existez pas ! Car votre époque : c’est ça. Et les gens qui l’aiment ont bien raison de préférer être débiles en groupe qu’intellos tout seuls. C’est ça, la démocratie.

Intimidés, les gens qui aiment ça se mettent alors à imiter le « ça » pour être aimés, à s’aligner sur le « ça » pour se sentir normaux. Les voici qui s’exhibent comme les stars, qui opinent comme des journalistes, qui rient et bêtisent comme des animateurs, qui consomment comme des citoyens modèles, livrant leurs cerveaux à Coca-cola, ou à d’autres marques leur assurant qu’être bien c’est ça. Les voici, dans leurs « réseaux sociaux », qui nourrissent du ça collectif leurs égos personnels. Leur moindre élément d’existence, sur le miroir nommé « Facebook » – une opinion, une photo, une recette, un tube, un truc, n’importe quoi – devient un événement public que chaque membre doit ratifier par un clic signifiant qu’il aime ça. Et les voilà comptant les clics pour mesurer la densité de leur être ! Les gens qui aiment ça n’ont bientôt plus que « ça » pour faire aimer leur « moi ».

Je me souviens des moutons qu’on rassemblait dans la cour de la ferme. Quand mon père apportait des granulés, ou plutôt du foin, l’un d’eux s’écriait en bêlant : « Voilà du foin ! » Un autre reprenait aussitôt : « J’aime ça ». Et tous de clamer en désordre : « Y a du foin ! J’aime ça ! Y a du foin ! J’aime ça ! ». Quelle symphonie ! C’est que le bonheur n’est pas simplement de suivre le troupeau : encore faut-il bêler en chœur. Sinon, le foin manque de saveur.

Le Songeur  




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