J’étais un jour, en songe, l’Envoyé spécial à l’ONU d’un journal d’avenir nommé L’Utopie concrète. À l’ordre du jour, une séance cruciale sur le règlement des conflits internationaux : était invité un politologue belge de renom, par ailleurs expert en bois de chauffage.
« Parmi les vérités oubliées, rappela celui-ci, il en est une dont on ne prend conscience qu’au sein des futaies, à savoir : tout bout de bois a en réalité deux bouts. C’est là un fait fondamental, on ne peut y échapper. D’autant plus que, chose troublante, si vous sciez le moindre des bouts de bois traînant ici ou là, vous obtenez – que vous le vouliez ou non – deux bouts de bois ayant chacun leurs deux bouts, ce qui en fait quatre (si vous suivez bien). Vous ne pouvez pas y couper. Et si vous renouvelez l’opération maintes fois, vous générez ainsi une infinité de bouts de bois, chacun doté de deux bouts, sans limite. C'est un miracle de dynamisme, c'est la démultiplication même du vivant, c'est la démocratie. Comprenez-vous ? »
Ses homologues et confrères de l’ONU l’écoutaient religieusement, à peine médusés.
« Oui, mais…, enchaîna-t-il en élevant le débat.
Mais voilà : ce processus peut évidemment être inversé ! Si vous prenez un bout de bois, n’importe lequel (doté de deux bouts, comme tout morceau), vous pouvez naturellement le faire fusionner avec un autre bout de bois (doté également de deux bouts, comme tout morceau de bois qui se respecte). Or, si au départ vous dénombrez quatre bouts pour les deux morceaux, une fois la fusion faite, qu'advient-il ? D'une part, n'ayant plus qu'UN morceau de bois, vous avez réduits les quatre bouts des deux bouts de bois à seulement deux bouts d'un bois (vous suivez ?). Mais d'autre part, et c'est là essentiel, le nouveau morceau de bois obtenu par la fusion EST PLUS GROS, plus MASSIF ! Vous suivez toujours ?
L’ONU se taisait. À l’évidence, un paradigme nouveau allait émerger de ce discours.
« Admettons maintenant, poursuivit l’analyste, que des marchands de bois (ou de canons) pénètrent dans une forêt médiatique primaire, où s'étalent à perte de vue ces "bouts de bois" debout qu'on appelle des arbres. Ils auront tôt fait, dans leur désir de consensus universel, de mettre bout à bout toute paire de morceaux de bois pour la réduire à l'unité. Et cette réduction des bouts s’accompagnera idéalement d’une réduction des coûts. Si bien qu’en systématisant l'entreprise, nos apôtres de la fusion restreindront considérablement la complexité du réel. Au bout du compte – car je vous passe ici les péripéties – nous n'aurons plus sur notre universel chantier que quelques géants dotés chacun d'un méga-morceau de bois à deux bouts.
Mais que fait-on, Mesdames et Messieurs, d'un énORRRme morceau de bois ?
D'un côté, on le tient fermement pour s'assurer de sa puissance.
Et de l'autre, on frappe pour être sûr de son efficacité.
Il en résulte, chers Amis, qu’il est d’ores et déjà possible de réduire la multiplicité des guerres qui ensanglantent la Terre en un seul conflit de taille se révélant d’une éminente simplicité. »
La communauté internationale ne put retenir un « Oh ! » d’admiration, suspendue qu’elle était aux lèvres de notre expert forestier, lequel, poussant jusqu’au bout la logique futuriste de sa vision inspirée, déclencha des tonnerres d’applaudissements en martelant sa conclusion :
« Alors, Mesdames et Messieurs, ne trouvez-vous pas qu’il est parfaitement vain, frileux et rétrograde, de déplorer ces concentrations d’entreprises nationales et transnationales qui permettent aux puissants de ce monde de revenir joyeusement à l'ère de la massue préhistorique ? Vive la paix des masses dans l’unité du genre humain ! »
Le Songeur (08-01-15)
(Jeudi du Songeur suivant (43) :
« L’HOMME EST UN LOUP POUR L’HOMME » : CHERCHEZ L’ERREUR)
(Jeudi du Songeur précédent (Nouvel An) : « CONDITIONNEL »)