AFBH-Éditions de Beaugies 
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Les Jeudis du Songeur (374)

UN FOSSILE QUI S’IGNORE…

Il y a peu, occupé à la tâche légitime de faire connaître la nouvelle édition de mon dictionnaire portatif, j’avais pensé opportun et honorable d’en avertir les collègues du « lycée de Sèvres » où, dans les années 1990, j’avais conçu et rédigé mon salutaire ouvrage. C’était même un service à leur rendre, dans la mesure où, si bien des choses ont changé dans l’Éducation nationale, le bac y est toujours vivant, et les étudiants toujours nécessiteux d’apprendre le sens des mots qu’ils ne maîtrisent pas, si j’en crois certains échos.

Mon projet était simple : le lycée est à 10 minutes de chez moi, il me suffisait d’y aller vers 10 heures du matin, comme d’habitude, au moment de la récréation, où dans la salle des profs passent les divers collègues pour souffler, le temps de prendre un café. Je me voyais installé à une table avec quelques exemplaires du livre, non pour « vendre », mais « faire savoir ».

Je choisis de venir un mardi matin. J’entre affairé, avec ma serviette noire, et voyant le gardien étonné, voire interrogatif, je lui dis en deux mots que j’ai enseigné près de 40 ans au lycée et viens prendre contact avec mes collègues pour leur présenter un ouvrage utile, et reconnu, que j’avais conçu au lycée même, avant de partir en retraite.

Celui-ci me répond aussitôt, très aimablement, que la nouvelle « proviseur » est très exigeante sur la liberté d’aller et venir des personnes fréquentant le lycée, connues ou moins connues. Bref, le gardien ne pouvait laisser entrer n’importe qui.

Et bien sûr, malgré mon âge avancé et l’apparence que je croyais donner de n’être pas n’importe qui, je dus m’entendre dire que pour entrer dans cet établissement, je devais préalablement déposer une demande écrite précisant la réalité de ma situation civile et le motif (supposé louable) de ma demande.

Ce que j’ai fait dès le lendemain, et n’ai pas encore de réponse au moment où j’écris ces lignes (le lycée est encore en congé d’hiver).

Quoi qu’il en soit, c’est de mon trouble que je voulais parler ici. Pourquoi me suis-je senti soudain comme en « infraction » vis-à-vis de l’ordre public ? Qu’ai-je fait de mal ? D’où est venue mon erreur ?

Eh bien : JE ME SUIS TROMPÉ D’ESPACE-TEMPS ! Ou, plus exactement, j’avais cru que dans ce même espace était resté présent le même temps. J’avais conservé en moi l’illusion que j’étais encore du lycée, alors que le lycée s’était allègrement passé de moi. J’eusse été le revenant d’un siècle ou deux que le monde m’eût aussitôt refoulé en me disant « Que fais-tu ici ? Tu n’es plus des nôtres ».

Je ne suis plus qu’un fossile interdit d’émerger, même si son cadavre parait remuer encore dans les sables.

Tout avait donc changé en ayant l’air de rester semblable. Le seul point qui demeurait d’actualité, de cette génération comme à la mienne, était la permanence des lacunes de nos élèves de l’une à l’autre.

Méfiez-vous, vous tous qui me lisez ! À peine avons-nous le sentiment de demeurer vivants qu’un nouveau crétacé supérieur déjà nous fossilise de son couvercle !

Le Songeur  (27-02-2025)



(Jeudi du Songeur précédent (373) : « POUR UNE TAXATION DE LA PROLIXITÉ ! » )