Conformément au projet annoncé le 6 juin, nous poursuivons ici la citation d’extraits de mots-concepts expliqués dans le Dictionnaire portatif du Bachelier, aujourd’hui, les mots Totalitaire et Totalitarisme.
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TOTALITAIRE. adj. 1° Se dit de régimes politiques qui prétendent organiser et gouverner la totalité de la vie des citoyens, aussi bien publique que privée. Un pays totalitaire. Un État totalitaire. Il s’ensuit que le pouvoir, détenu en général par un dirigeant unique ou une petite classe de dirigeants, impose aux citoyens un Parti unique, supprime toute opposition, s’empare de tous les moyens de communication de masse, surveille l’orthodoxie politique et idéologique des citoyens, traque les opposants, les emprisonne, et les « rééduque » en pratiquant le « lavage des cerveaux ». L’U.R.S.S. sous Staline (réalité historique), la société décrite par Orwell dans son roman 1984, donnent une idée précise de ce que peut être un pays totalitaire, — beaucoup plus terrifiant que la tyrannie (voir ce mot).
2° Se dit d’une philosophie, d’une religion, d’une doctrine politique qui, pour de bonnes ou mauvaises raisons, croit détenir la clef idéale de la vie de l’homme en société et, forte de cette conception intégrale du salut de l’être humain, recommande ou inspire la création d’un État susceptible de réaliser cet idéal.
Une pensée totalitaire est souvent à l’origine d’un régime totalitaire, même si celui-ci en est la caricature ou la déviation. Le marxisme-léninisme, par exemple, a été une philosophie sans doute exaltante en ce qu’elle prétendait, par la révolution, faire le bonheur total du genre humain ; mais sa mise en œuvre, dans la plupart des pays « communistes », a engendré un pouvoir totalitaire, dont la réalité était aux antipodes de l’idéal rêvé — ce que certains, perdant tout esprit critique, refusaient de voir ; il faut dire qu’avec son concept de « dictature du prolétariat », le marxisme prenait quelques risques. D’où ce diagnostic d’Orwell : « On n’établit pas une dictature pour sauvegarder une révolution. On fait une révolution pour établir une dictature. »
TOTALITARISME. n. m. 1° Caractère d’un régime totalitaire.
2° Caractère d’une philosophie ou d’une idéologie totalitaire (qui prétend expliquer tout l’homme et produire une société qui fera le bien total de l’homme). Indépendamment de ses déviations, de son détournement par des pouvoirs qui ne cherchent qu’à cautionner leur absolutisme, le totalitarisme est en germe dans la pensée de ceux qui rêvent d’une société idéale, comblant intégralement tous les besoins et tous les désirs de l’homme. C’est en ce sens qu’on peut parler du totalitarisme de certaines utopies. L’esprit de système des uns, le besoin de certitudes simplistes des autres, se sont conjugués pour favoriser le totalitarisme. Voir, à l’inverse, le mot Relativisme.
TYRANNIE. n. f. 1° Sens large. Pouvoir absolu et arbitraire, fondé sur la force et l’oppression, en général cruel et injuste. D’où, autorité abusive, pouvoir oppressif exercé par un chef, un père, un roi, un président, etc. La tyrannie du monarque. La tyrannie de Néron. La tyrannie d’un instituteur qui fait trembler les petits. Par extension, oppression quelle qu’elle soit. La tyrannie du conformisme ambiant, des modes musicales, du système publicitaire.
2° Sens précis (dans la typologie des gouvernements, selon Montesquieu). Régime politique dans lequel un seul homme concentre tous les pouvoirs : l’exécutif, le législatif, le judiciaire (auxquels il faudrait ajouter, au XXIe siècle, le pouvoir de d’information par les médias). Synonymes : despotisme, dictature, autocratie. Dans ce sens, la tyrannie se distingue de la monarchie, dans laquelle le pouvoir royal est équilibré par d’autres forces dans la nation (un parlement ; une catégorie sociale, la noblesse par exemple). Malgré leur forme extérieure dictatoriale apparemment identique, la tyrannie et le régime totalitaire se distinguent radicalement. Le tyran se moque en général de ce que pensent ses sujets (Oderint dum metuant, « qu’ils me haïssent pourvu qu’ils me craignent ») : il lui suffit de régner en inspirant de la crainte. Le pouvoir totalitaire a une autre dimension. D’une part, parce qu’il est souvent de nature oligarchique (c’est une petite classe d’hommes, érigée en système, qui gouverne). D’autre part, et surtout, parce qu’il veut opprimer l’esprit même des citoyens, normaliser la pensée collective, c’est-à-dire jouir de la totalité même du pouvoir de l’homme sur l’homme. Orwell illustre formidablement cet aspect dans son roman, 1984 : « Le pouvoir est le pouvoir sur d’autres êtres humains : sur les corps, mais surtout sur les esprits. »
Le Songeur (10-10-2024)
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