AFBH-Éditions de Beaugies 
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Les Jeudis du Songeur (358)

NATURE

Conformément au projet annoncé le 6 juin, nous poursuivons ici la citation d’extraits de quelques mots-concepts qui sont expliqués dans le Dictionnaire portatif du Bachelier :


NATURE. n. f.Ensemble des êtres et des choses qui constituent l’univers (la création, pour les croyants). Le mot nature, dans ce sens, présuppose toujours que cet ensemble est plus ou moins organisé. D’autre part, il est plus qu’un simple monde physique, puisqu’il comprend des êtres doués d’une réalité psychique. Comme synonyme d’univers total, le mot nature intégre alors le phénomène humain : « L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature… » (Pascal). Mais on peut l’employer aussi par opposition à la vie de l’être humain : la nature est alors l’environnement de l’homme, le monde physique qui obéit à des lois indépendantes de la volonté humaine. Tantôt, celui-ci peut paraître indifférent à l’homme dans sa réalité matérielle ; tantôt, il peut lui sembler complice et proche (et faire naître en lui le « sentiment » de la nature).

Ensemble des caractères propres, des propriétés fondamentales qui définissent une réalité (chose concrète ou abstraite ou être vivant. Ce sens renvoie à celui du mot « essence » : ce qui fait qu’une chose est ce qu’elle est. On parlera aussi bien de la nature du feu, du roman, de l’amour, de la démocratie, du lion, de Dieu ou de l’homme. L’emploi du mot nature suppose, là encore, qu’on envisage l’être ou la chose dont on parle comme une réalité cohérente, organisée, dotée de caractères constants (sinon immuables), qui permettent de l’identifier comme telle. Le mot s’applique en particulier aux êtres humains. Soit dans un sens général : la nature humaine (morale ou physique), comme entité fondamentale (d’où la question, au-delà des données biologiques : qu’est-ce que l’homme ?). Soit dans un sens singulier : la nature de tel individu (les traits constitutifs de sa personnalité physique et morale), qui peuvent entraîner des jugements définitifs (« il a une nature foncièrement perverse ») ou des recherches personnelles (« au fond, ma nature, c’est de… »). Voir Inné.

Principe général, force mystérieuse qui ordonne et anime le monde, aussi bien dans sa réalité externe (l’univers) que dans sa dimension intérieure (psychique). En tant que telle, la nature est souvent personnifiée, et dotée d’un N majuscule. Ce sens global est fréquent dans la littérature classique, qui postule que le monde et l’homme sont créés par Dieu, ou qui nomme « Dieu » cette Nature qui régit l’univers physique et moral où vivent les créatures. Ce sens ne s’oppose pas aux deux précédents. Mais, d’une part, il les regroupe : c’est la même « nature » qui se manifeste dans les lois de la matière, qui produit les merveilles de la vie, qui ajuste les instincts des animaux, qui dote l’homme de désirs et de capacités propres à l’épanouissement de son humanité. Par ailleurs, cette Nature semble avoir tout organisé en vertu d’une finalité positive des choses, d’une harmonie programmée dès le départ. Il faut donc respecter la « nature », il faut suivre ses lois, il faut s’émerveiller de ses réalisations (« La nature a bien fait les choses »). Le mot nature ne définit donc plus seulement ce qui est, mais ce qui doit être : il n’est plus seulement descriptif mais moral, ce qui conduit à des jugements négatifs sur ce qui est « contre nature » ou « dénaturé ». Ces trois sens du mot « nature » n’épuisent pas la totalité des nuances que le terme implique. Pour en compléter l’approche, rappelons quelques oppositions classiques :

Nature et Artifice. Au sens superficiel, on oppose ce qui est naturel, spontané, à ce qui est artificiel, factice, affecté (ce qui présuppose une positivité en soi de la nature). Mais, dans un sens plus profond, l’artifice représente tout ce que l’homme fabrique, crée, obtient par transformation de la nature. De ce point de vue, l’essentiel de ce que produisent et vivent les hommes est « artificiel », ce qui relativise la notion de respect sacro-saint de la « nature ».

Nature et Art. L’opposition précédente se manifeste notamment dans le domaine esthétique. L’art classique recommande souvent d’imiter la nature. Or, l’art, par définition, est création, fabrication, invention de formes. D’où des débats et des tendances contradictoires (l’idée d’un art qui doit reproduire la nature ; l’idée d’un art qui doit compenser ou nier la nature ; l’idée d’un art qui doit, au-delà des apparences réalistes, révéler la nature profonde et idéale des choses ou de l’homme).

Nature et Culture. Ce débat intègre et dépasse les deux oppositions précédentes. L’homme se définissant par ce qu’il est et ce qu’il fait (individuellement et socialement), est-il le produit de la nature ou de la culture (au sens no 2 du mot) ? Se définit-il par ce que la nature fait de lui, ou par ce qu’il fait de sa nature ? Nous avons donné un aperçu de cette question au mot Culture. Retenons ici la grande prudence dont on doit faire preuve chaque fois qu’on emploie le mot « nature » : on croit souvent désigner une réalité naturelle alors qu’il s’agit d’une réalité culturelle ou historique. Le seul paysage de la campagne, qu’on appelle « nature », est en fait le produit du travail et de la culture (au sens propre) des hommes.

État de nature/État de civilisation. Cette opposition est chère à Rousseau, dans le Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (1755). Par état de nature, Rousseau imagine un état théorique, qui n’a pas existé, qui serait l’état de l’homme naissant, directement issu de la nature et vivant au sein de la nature. Cette représentation fictive permet à Rousseau d’établir que l’inégalité sociale est en réalité bien moins « naturelle » que « culturelle ». Voir Art, Civilisation, Culture.

Le Songeur  (15-08-2024)



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