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Les Jeudis du Songeur (357)

MÉTAPHORE ET MÉTONYMIE

Conformément au projet annoncé le 6 juin, nous poursuivons ici la citation d’extraits de quelques mots-concepts qui sont expliqués dans le Dictionnaire portatif du Bachelier. Aujourd’hui, la distinction métaphore/métonymie :


MÉTAPHORE. n. f. (du grec meta, voir ci-dessus, et phoros, « qui porte ». Littéralement, « qui transporte en changeant »). Figure de rhétorique (ou de style) qui consiste à désigner une réalité par un terme qui convient à une autre, en raison d’une analogie entre elles qui autorise cette substitution. Par exemple, j’emploierai le mot racine à la place du mot cause (les racines de la rébellion), les deux termes ayant l’idée d’origine comme point de ressemblance. La métaphore établit ainsi un rapport d’analogie entre diverses réalités, entre les différents domaines de la vie, du monde. Mais, contrairement à la comparaison (qui développe cette relation de ressemblance), la métaphore n’explicite pas l’analogie qu’elle opère : elle substitue directement un terme à un autre. Au lieu de dire « tes yeux sont bleus comme l’azur », la métaphore remplace le terme comparé (le bleu) par le terme comparant (l’azur), ce qui donne : « l’azur de tes yeux ». La métaphore est donc une comparaison implicite, directe, frappante. Les métaphores ne figurent pas dans la seule poésie (les écrivains peuvent tisser de multiples correspondances entre les choses en jouant sur les mots qui les désignent). Elles sont à la base même du langage : l’être humain, chaque fois qu’il doit désigner des réalités nouvelles, a tendance à les rapprocher de réalités déjà connues. Cette recherche d’analogies aboutit à de nombreuses métaphores entre les réalités matérielles et les réalités spirituelles (les lumières de l’esprit), entre les diverses sensations, entre phénomènes humains et phénomènes naturels, entre le concret et le figuré. Quand une métaphore devient habituelle dans la langue, on dit qu’elle se lexicalise. Voir Analogie, Anthropomorphisme, Correspondance, Figuré.

On appelle métaphore filée une métaphore qui se développe longuement (sur une ou plusieurs phrases) en poursuivant l’analogie sur laquelle elle se fonde, selon une sorte de logique interne à l’image. Par exemple, dans son sonnet « L’Ennemi », Baudelaire, ayant identifié sa jeunesse à un « ténébreux orage », se met à « filer » la métaphore du paysage qui symbolise ses états d’âme : il parle de « jardin », de « fruits vermeils » maltraités par la pluie, de « pelle », de « râteaux », de « terres inondées », de « sol lavé » et de « fleurs nouvelles », tous ces termes renvoyant à l’histoire de sa vie intérieure (et non à un tableau objectif !). Avec la métonymie, la métaphore est l’un des grands procédés verbaux qui constituent le langage.


MÉTONYMIE. n. f. (du grec met(a)-, « ce qui est au-delà, ce qui succède », et onoma, « nom ». Littéralement : transformation, changement de nom). Figure de rhétorique (ou de style) qui consiste à désigner une réalité par un terme qui convient à une autre, en vertu d’une relation étroite existant entre ces deux réalités. Par exemple, au lieu de dire « les habitants de Paris s’endorment », on dira « Paris s’endort » : ce n’est pas la ville matérielle qui s’endort, mais ses habitants ; cependant, il y a une association étroite entre le contenu (les habitants) et le contenant (Paris) qui permet la substitution des termes.

• Il est essentiel de distinguer ici la métonymie de la métaphore. Alors que la métaphore repose sur une relation de ressemblance entre les choses assimilées (elles n’ont pas de lien objectif entre elles), la métonymie repose sur une relation d’association (il y a un lien nécessaire, objectif, dans la réalité, entre les choses dont l’une sert à désigner l’autre).

• La nature de l’association qui, dans la métonymie, permet de nommer une chose par un terme désignant une réalité qui lui est liée, est assez variée. Il peut s’agir d’une relation :

de cause à effet : « boire la mort » pour « boire le poison » (qui doit entraîner cette mort) ;

de matière à objet : « la toile » pour la peinture représentée sur la toile du tableau, ou « le fer » pour l’épée (ils ont croisé le fer) ;

de lieu d’origine à une chose : « fumer un havane » (un cigare originaire de La Havane) ; boire un Bordeaux ;

de contenu à contenant : « boire un verre » (boire le contenu du verre) ; « une décision de l’Élysée » (de l’occupant de l’Élysée, c’est-à-dire le Président) ;

de la partie au tout (ou l’inverse) : Saint-Étienne pour l’équipe de football de cette ville ; le premier violon de l’orchestre (pour le premier violoniste) ; le trône pour la royauté, l’autel pour l’Église, etc. C’est la plus fréquente des métonymies, qu’on nomme plus précisément synecdoque (voir ce mot).

• Cette liste n’est pas limitative. Elle montre que la métonymie repose sur un processus fondamental de la nomination qui, au lieu de désigner directement une réalité, l’évoque indirectement par association à une réalité contiguë. Selon le linguiste Jakobson, l’essor du vocabulaire ne peut se faire qu’à partir de l’analogie ou de l’association, c’est-à-dire par la voie métaphorique ou la voie métonymique. L’écriture et l’invention verbale des écrivains pourraient même permettre de distinguer ceux qui sont du pôle métaphorique de ceux qui relèvent du pôle métonymique

Le Songeur  (08-08-2024)



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