Conformément au projet annoncé le 6 juin, nous poursuivons ici la citation d’extraits de quelques mots-concepts qui sont expliqués dans le Dictionnaire portatif du Bachelier : Aujourd’hui, la distinction énoncé/énonciation :
ÉNONCÉ. n. m. En linguistique, l’énoncé est ce qui est dit : la parole prononcée, la phrase écrite, l’ensemble des paroles et des phrases prises dans leur succession, à l’état brut. L’importance de l’énoncé est inséparable de l’opposition énoncé/énonciation (voir mot suivant).
ÉNONCIATION. n. f. On appelle énonciation l’acte de produire un énoncé. L’énonciation se constitue donc de l’ensemble des conditions de production qui confèrent à cet énoncé son importance concrète, sa valeur particulière.
Les éléments qui entrent dans l’énonciation et concourent à l’originalité de l’énoncé se déduisent des questions suivantes : qui parle ? à qui ? où ? quand ? comment ? sur quel ton ? Par exemple, l’énoncé le plus banal qui soit — « il fait beau » — n’aura pas le même effet ni la même signification selon la personne qui l’énonce (un enfant, un peintre, un paysan), la personne à qui on l’adresse (un ami, un public), le contexte dans lequel il est prononcé (l’hiver, l’été, sous le soleil ou en pleine tempête), le ton sur lequel il est dit (objectif, distrait, volontariste, ironique). Voir à ce propos le mot communication, et le schéma qui y est décrit.
Dans un sens plus particulier, l’énonciation est surtout révélatrice du rapport que le locuteur entretient avec son énoncé. Dire « je » ou ne pas dire « je », prendre un ton personnel pour émouvoir ou un ton impersonnel pour sembler objectif, choisir des mots ou des figures de style de préférence à d’autres, s’exprimer sous la forme d’un genre littéraire plutôt que sous une autre forme, tout cela caractérise la personne qui se constitue à travers cet énoncé, plus que le contenu de l’énoncé en tant que tel. Dans ce sens, l’étude de l’énonciation sera surtout, au-delà des indices formels de celle-ci, l’étude de l’énonciateur. L’énonciation devient quasi synonyme de style, au sens classique du terme, celui qui faisait dire à Buffon : « Le style est l’homme même. » Voir Communication, Connotation, Écriture, Élocution, Rhétorique, Style.
• On appelle double énonciation, dans les textes où figure du dialogue (surtout au théâtre), le fait que l’énonciation propre à l’auteur (lequel s’adresse à un public), englobe l’énonciation qu’il prête à ses personnages (lesquels dialoguent entre eux). Ainsi, lorsque Don Juan célèbre l’hypocrisie comme vertu, devant un Sganarelle épouvanté, nous avons un premier degré d’énonciation ; mais l’auteur Molière, à travers cette tirade, fait une féroce satire des faux dévots : c’est un second degré d’énonciation. De sorte que l’éloge qu’adresse Don Juan à son valet est en même temps une diatribe que fait entendre Molière à ses spectateurs.
Le Songeur (04-07-2024)
(Jeudi du Songeur suivant (353) : « ESSENTIALISME ET EXISTENTIALISME » )
(Jeudi du Songeur précédent (351) : « AU SUJET DU DÉTERMINISME » )