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Les Jeudis du Songeur (351)

AU SUJET DU DÉTERMINISME

Conformément au projet annoncé le 6 juin, nous poursuivons ici la citation d’extraits de quelques mots-concepts qui sont expliqués dans le Dictionnaire portatif du Bachelier :


DÉTERMINISME. n. m. Conception philosophique selon laquelle tous les faits, tous les événements, et même les actions humaines, s'expliquent par des causes, par des lois, par des conditions antérieures qui les ont rigoureusement « déterminés ». Il n'y a pas d'effets sans cause ; tout est « causé » et « causant », la chaîne des phénomènes interdit toute liberté, tout hasard. Cette signification est à nuancer selon les domaines.

1/ Au niveau scientifique, le déterminisme apparaît moins comme une conception en soi philosophique que comme une attitude de base sans laquelle il ne pourrait pas y avoir de science, de connaissance sérieuse des lois du monde. Étudier l'univers, la physique, la biologie, c'est mesurer des phénomènes obéissant à des lois stables, étudier des causes qui produisent les mêmes effets dans les mêmes conditions, constater un enchaînement rigoureux des réalités de la matière. La science est donc fondamentalement déterministe. Les « choses » ne sont pas « libres ».

2/ Au niveau humain, il n'en va pas tout à fait de même. On peut évidemment croire ou ne pas croire à la liberté de l'homme. Mais le problème se pose dès qu'on envisage d'étudier scientifiquement la vie humaine, ce qui est le cas de ce qu'on appelle les sciences humaines : psychologie, sociologie, ethnologie, anthropologie, histoire.

La notion de science, la recherche de lois, supposent en effet que les conduites humaines soient dénuées de liberté, de sorte qu'on puisse les connaître objectivement, les expérimenter, les « prédire », - bref les considérer comme un ensemble de causes et d'effets éliminant autant que possible l'intervention de la volonté individuelle.

Pour le psychanalyste, qui fait de la conduite, des sentiments ou des rêves de l'individu des résultantes de conflits inconscients, la « liberté » se réduit vite à une illusion de la conscience - le temps du moins qu'il étudie, (aussi rigoureusement que possible) la chaîne des affects qui interagissent dans la constitution du psychisme humain. Pour le sociologue, qui étudie les phénomènes sociaux de masse, leurs logiques, leurs « lois », la liberté de chacun est de même mise entre parenthèses : sa méthode d'approche lui interdit de croire au « hasard » que seraient des volontés individuelles imprévisibles. De même, pour l'ethnologue, qui étudie l'histoire d'un groupe humain, l'organisation de sa parenté, ses représentations, etc.

Ainsi, dans leur logique méthodologique, les « sciences humaines » sont déterministes. Elles font comme si la liberté humaine n'existait pas. Elles parleront des « déterminismes » divers qui pèsent sur la conduite des individus. Comment alors les concilier avec la croyance dans la liberté ?

La solution à ce conflit dépend sans doute de l'idée que chacun se fait de l'homme. Toutefois, on peut remarquer que chaque science humaine, en ayant tendance à expliquer tout l'homme par sa méthode propre, en vient à contredire ou à nuancer les données de ses concurrentes. Ainsi, les déterminismes qui pèsent sur l'homme étant contradictoires, on peut alors penser que la liberté de chacun consiste à jouer de ces influences qui se contredisent, pour se tracer un chemin autonome. Le débat reste ouvert.

N.B. Ne pas confondre déterminisme et fatalisme. Le fataliste ne croit pas à la liberté humaine, mais il fait de la destinée de chacun un programme d'événements fixés d'avance par le destin ou la volonté d'un Dieu. Voir Conditionnement, Destin, Fatalisme, Liberté, Prédestination.

Le Songeur  (27-06-2024)



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