Il y a peu, je songeais vaguement (- pléonasme ? -) que savoir bien faire, c’est aussi savoir faire faire. Le mieux que je puisse faire, par exemple, pour quelqu’un qui a faim, ce n’est pas seulement lui apporter de la nourriture, c’est lui apprendre à cultiver pour se nourrir lui-même. Sur ce schéma, « bien faire c’est apprendre à faire faire », il m’est venu à l’esprit une autre série de réflexions sur le même moule, que voici par exemple :
Bien penser, c’est faire penser : le penseur authentique est celui qui donne à penser, le vrai poète celui qui vous inspire une rêverie poétique ; le bon pédagogue est celui qui vous apprend à apprendre, et le bon songeur, celui qui donne à songer. N’est-ce pas ?
Et encore :
Bien aimer, c’est apprendre à aimer. C’est mal aimer son enfant que de céder à ses envies, ce qui le rend égoïste, et donc incapable d’aimer à son tour. La véritable charité doit être contagieuse, en ouvrant l’autre à la compassion envers tout être humain.
Bien vivre, c’est faire vivre : il n’y a pas de vrai bonheur pour celui qui ne sait pas rendre heureux, c’est-à-dire faire partager aux autres les dimensions de vie qui l’habitent lui-même.
Bien écrire, c’est tenter d’éveiller l’écrivain en herbe qui gît sous le lecteur…
D’une certaine façon, ce n’est pas moi qui ai originellement pensé tout cela : c’est la langue elle-même qui m’a fourni ce schéma porteur de réflexions similaires, puisqu’elles procèdent du processus langagier qui, au départ, l’a généré. C’est en effet ce type de schème que l’on nomme, à proprement parler, un « paradigme » (au sens précis du terme, et non pas pour se donner des airs d’expert).
Ainsi est-ce la langue elle-même qui souvent nous traverse de mimétismes de pensée, au point qu’au moment où nous prenons la parole, c’est la parole qui se saisit de nous, nous constituant en orateurs… (ou parleurs qui se croient tels).
C’est alors qu’il reste à bien examiner ce que nous disons pour savoir comment le langage nous l’a dicté, ou si nous l’avons vraiment pensé. Dans ce que l’on croit vouloir dire, il y a trop souvent un « ce qu’on dit sans le vouloir », et c’est un long apprentissage que de savoir ce qu’on pense vraiment au fond de soi, cet insondable for intérieur… Penser en vérité, c’est toujours réapprendre à penser.
Là se joue cette forme étrange d’honnêteté qu’est l’honnêteté vis-à-vis de son propre être.
Le Songeur (30-11-2023)
(Jeudi du Songeur suivant (340) : « LES FAVORIS DES DIEUX ONT LA MORT POUR DESTIN » )
(Jeudi du Songeur précédent (338) : « LE POÈTE EST CELUI QUI INSPIRE… » )