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Les Jeudis du Songeur (335)

LA CLARTÉ EST LA POLITESSE DE L’ÉCRIVAIN

Dans un accès de patriotisme qui me sied, un certain Rivarol écrivit : « Ce qui n’est pas clair n’est pas français. » La question que je me pose est alors celle-ci : ce que postule Rivarol concernant notre langue s’applique-t-il aussi à notre littérature ?

Si l’on en juge par bien des écrivains français, du 17ème au 20ème siècle, la réponse est évidemment oui. Mais il y a du déchet dans cette profusion, et pas mal d’auteurs suivent maintenant la mode de l’écriture absconse, tant dans le champ des sciences humaines (au nom de la spécificité de leur recherche) que dans le domaine des œuvres littéraires ou des ouvrages critiques de leurs commentateurs.

Je me souviens d’une émission où Bernard Pivot avait célébré la clarté du livre d’un sociologue, lequel, fort embarrassé, lui fit cette réponse : « Ne dites pas cela, vous allez me disqualifier auprès de mes collègues. » Il s’agissait d’une de ces « sciences humaines », dont il est licite que le langage soit codé. Les mathématiques, les statistiques, la psychanalyse ou l’anthropologie, la philosophie même ont leurs lexiques respectifs, dont les mots empruntés au langage commun ont un emploi ou un sens particulier, à l’attention de leurs « spécialistes ». Mais lorsqu’il s’agit de littérature courante, s’adressant à tous, c’est-à-dire à un public généraliste si l’on veut, le précepte de Rivarol est judicieux : ce qui se prétend écrit en français doit être clair.

Je songe notamment à la poésie dite « savante », qui vise à « complexer » les lecteurs coupables de ne rien ressentir, donc supposés incultes. Que sont ces auteurs ou « fauteurs » qui donnent dans l’hermétisme en nous cachant leurs clefs, sinon des imposteurs ? À mes yeux, leur élitisme, conforté par des commentateurs qui jouent les initiés, masque tout simplement leur défaut d’inspiration authentique… Je vais donc pousser ma rogne contre l’hermétisme.

Ce n’est pas parce que l’on ferme un coffre à double tour qu’il renferme des trésors.

Les historiens de la Littérature, eux-mêmes fort gênés, croient devoir parler d’œuvres originales, mais « difficiles d’accès », selon un euphémisme révélateur. Ainsi, par delà le surréalisme, qui semblait tout permettre à l’invention de poètes autoproclamés, le Lagarde et Michard nous annonce une poésie nouvelle, « difficile d’accès, écrite dans un langage parfois sibyllin », mais qui « n’en est pas moins fidèle à sa vocation d’écho sonore » de notre temps. « Écho sonore », de qui, de quoi ? ! Et moi qui tends l’oreille, je ne perçois pourtant que galimatias, là par exemple où l’on m’annonce « l’épopée intérieure » d’un diplomate s’étant re-nommé Saint-John Perse, ou encore là où l’on célèbre l’étonnant « silence intérieur » d’un Joe Bousquet… dont on finit par me dire que sa poésie, « à force d’authenticité mystérieuse, décourage le commentaire. » Hé oui !

Quoique « prof de lettres », je partage un tel « découragement ». Combien de textes dits poétiques, fleurons de notre « modernité » littéraire, me sont tombés des mains, consterné que je fus par des flux de mots arbitraires inaptes à m’émouvoir, des charabias abscons se prenant pour créations inouïes, des suites verbales vides de sens apparent, dont le « vouloir dire » reste englué dans sa gangue laborieuse. Ces auteurs qui usent de ma langue ont-ils vraiment le désir de s’adresser à l’être humain que je suis ? Qu’attendent-ils de moi ? Que veulent-ils me faire partager, au-delà du déchiffrage de jaillissements dont j’ignore les codes ?

Le refus de la clarté me semble vraiment une supercherie, fût-ce au nom d’une « incantation du langage » (René Char). En voulant m’impressionner sans m’éclairer, on me méprise. L’hermétisme injurie la bonne volonté des lecteurs. Au bout du compte, il mérite l’indifférence : « poètes » hermétiques, restez entre vous !

Pour ma part, j’ai d’abord aimé la poésie classique qui fut clairement lyrique, y compris dans les stances tragiques ou les émois raffinés de Corneille et Racine. Et puis, plus tard, j’ai adhéré fortement à la poésie des romantiques, jusqu’à Baudelaire et Verlaine, mais non plus à Mallarmé et à ses successeurs (à l’exception de certaines pièces d’Apollinaire).

Musset avait raison : « Ah, frappe-toi le cœur ! C’est là qu’est le génie ». La vive expression d’un état d’âme à partager me semble suffire à nommer poème la nature d’un texte. À travers les doux échos de sa langue ou les clameurs de son désarroi, le poète est avant tout une « Voix », d’où l’emploi fréquent du vocatif « Ô ! », qu’il invoque une personne ou intensifie un sentiment, et dont il faut aussi ne pas abuser. « Ô triste, triste était mon âme/ À cause, à cause d’une femme ! » (Verlaine).

J’ai su apprécier et enseigner l’art de la versification classique, avec ses règles parfois pointilleuses et inhibitrices. Mais voilà que des praticiens de la poésie contemporaine justifient leur travail forcené d’obscures formes verbales, en rappelant que la racine grecque de poeme met l’accent sur le côté « fabrication » de l’activité poétique. Dès lors, ils méprisent hautement les Prévert, Brel ou Brassens, jugés trop « faciles » pour les toucher. Comme si la clarté, parce qu’elle n’est pas opaque, était dénuée de profondeur ?

Si la nouvelle jouissance « poétique » consiste à chercher les clefs mystérieuses de textes hermétiques, j’avoue franchement que je leur préfère, comme sport mental, la pratique des « sudokus » de la lignée « mind bending » (= torture de l’esprit)…

À chacun son extase.

Ou sa mécréance…

Mon cas est sans doute pendable d’avoir osé, et récidivé, publier mon recueil de textes que j’ai pensés poétiques tout en restant à peu près « clairs ». On me reprochera peut-être d’être juge et partie dans ce procès. Ma réponse a pourtant précédé, quand j’ai annoncé : je ne suis « poète » ni de profession, ni de prétention. Simplement, ayant la malchance de ne pas savoir être hermétique, j’ai opté pour une poésie « à visage humain » : celle qui, tout en jouant plus ou moins gravement sur les mots, désire avant tout faire partager des émotions, même sombres, comme aussi faire rêver, naïvement, les enfants nostalgiques que nous sommes demeurés…

À vous de me dire, en vous procurant mon petit livre*.

Le Songeur  (02-11-2023)


* Appel et Rappel : Au départ, l’idée de cette chronique sur la clarté ne m’est pas venue pour valoriser ma « poésie de circonstance ». Mais puisque nous y sommes, faisons la clarté : la réédition à la mi-septembre de mes Échos du temps qui passe et qui revient, n’a guère soulevé des vagues de commandes, malgré trente pages de nouveautés. Or, puisque nous voici à six semaines des fêtes de fin d’année : c’est vraiment l’occasion de commander des recueils pour en faire cadeau, selon notre objectif, commun à tous, de faire connaître les Éditions de Beaugies… Comme mes lecteurs fidèles me témoignent d’une certaine reconnaissance à l’égard des chroniques du Songeur, je ne désespère pas de vos commandes prochaines, sachant que :

Le prix du livre (108 pages) n’est que de 12€ franco de port. J’envoie moi-même les colis.

Le 14 septembre, j’ai annoncé pour le lancement, un rabais conséquent sur les achats de cinq exemplaires : 30€, toujours franco de port (en colissimo). Soit à moitié prix.

Cet avantage d’un moitié prix, je l’étends aujourd’hui à toute commande de 3 exemplaires, soit 18€, (toujours frais de port compris).

À chacun d’y songer, et merci d’avance.

N’hésitez pas ; enfin pas trop… J’attends vos courriers ou courriels…



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