Comme chacun sait, il existe une partition de Jean-Sébastien Bach qui s’intitule L’Offrande musicale. Sur un thème fourni par le roi de Prusse Frédéric II, le compositeur conçut un certain nombre de variations remarquables qu’il offrit au souverain, lequel n’avait plus qu’à les interpréter, ce qui est aussi, pour l’interprète, une forme d’offrande, puisqu’il s’agit d’un labeur, fort difficile parfois, mais heureux, puisqu’aucune œuvre n’existerait si, l’on ne l’a faisait vivre en la faisant « entendre »…
S’agissant de textes ou de livres qu’un écrivain conçoit, s’inspirant des divers thèmes que l’expérience humaine lui fournit, il me semble qu’on devrait pouvoir, de la même façon, parler d’offrande littérale. Un livre, n’est-ce pas comme une partition littérale (ou littéraire) offerte au lecteur, pour que celui-ci la fasse vivre en l’interprétant, pour lui-même en son for intérieur, ou pour d’autres s’il leur en fait la lecture à haute voix ?
C’est exactement cela que je voulais dire lorsque je déclarais, au sujet de mes chroniques du jeudi : J’écris ce que je songe pour donner à songer. Mon « songe » resterait mort-né s’il ne prenait pas vie dans votre propre méditation, passant ainsi de la naissance (pour moi) à l’existence (pour autrui).
C’est cette réciprocité dans l’échange, ce double effort d’ouverture à l’autre, qui fait de la culture un rite de communion. L’offrande littérale, c’est ce rite partagé par celui qui en offre la partition et par celui qui s’adonne à la lecture pour en faire vivre la mélodie, transformant des « lettres mortes » (le contenu du le livre encore dans ses cartons) en « paroles de vie », dès lors que le public fait exister le texte dans sa conscience, en le lisant. À l’offrande littérale de celui qui écrit répond ainsi l’offrande lectorale du récepteur qui l’interprète pour lui-même…
En somme, un acte de publication, pour donner lieu à une réalisation pleine et entière, nécessite au moins quatre prestations de quatre agents qui sont :
- l’auteur d’un texte qui désire l’offrir à l’attention d’un public (connu ou inconnu) ;
- l’éditeur qui en fait une « publication » (transformant ce texte en objet-livre qu’il met à la disposition d’amateurs intéressés, par diffusion directe chez le libraire, ou indirecte, par voie postale) : cette partie de l’échange, qui a un coût, ne perd pas pour autant sa nature d’offrande réciproque ;
- l’acquéreur de l’objet livre, qui offre à celui-ci son débouché naturel, défrayant par sa souscription l’investissement commun de l’auteur et de l’éditeur ;
- le lecteur effectif, qu’il soit l’acquéreur lui-même, ou un ami à qui ce dernier l’a offert : puisque c’est par cette lecture seule – ce « baptême – que le livre reçoit son existence en sus de sa « naissance » : l’offrande du lecteur qui le fait vivre répond à l’accouchement de l’auteur qui l’a « mis au monde ».
Concrètement, dans la situation qui est actuellement la nôtre, où vous lisez sur le site des « Éditions de Beaugies » ma chronique rituelle des « jeudis du songeur », j’occupe si l’on veut la double position d’auteur-éditeur proposant une offrande littérale, tandis que, corollairement, vous vous trouvez dans la double position d’acquéreur-lecteur offrant sa bienveillante attention à l’essor existentiel de mes écrits, y compris en finançant partiellement l’opération en cours… pour peu que – bien sûr – vous adhériez à l’aventure de l’AFBH, qui la rend matériellement possible.
Bien entendu, dans cette communion idéale où se joignent l’offrande littérale et l’offrande lectorale, il y a un petit quelque chose nécessaire à ne pas manquer, c’est la « cotisation » rituelle par laquelle le lecteur qui adhère doit réactualiser, tous les 12 mois, son adhésion à notre association. À ce sujet, vous vous rappelez sans doute que, pour éviter l’ennui des rappels fastidieux aux amis qui l’oublient, nous avions peu à peu modifié ce rite de la « cotisation » par celui d’une commande annuelle d’un livre à offrir. Règle que certains ont parfois oubliée, pensant que leur offrande lectorale suffisait. D’où l’idée de réserver désormais l’accès à nos chroniques hebdomadaires, nommées « songes », aux seuls fidèles redevenus effectivement adhérents. C’est le cas de tous ceux qui, lors de la saison 2020-2021) auront commandé un livre à offrir. Quant à ceux qui y rechignent, qu’ils considèrent que notre infrastructure, en leur offrant comme un « croissant » chaque jeudi matin, ce qui a un coût, mérite tout de même que la moindre des élégances de leur part soit de participer aux frais*. Ce qui peut toujours se faire en vue de la nouvelle saison, qui commence jeudi prochain 10 septembre.
Le Songeur (03-09-2020)
* Pour ceux d'entre vous que je n’ai plus revus depuis un certain temps, vous pouvez m’entendre 5 minutes expliquant ma démarche critique dans cette video :
https://www.youtube.com/watch?v=cYzksaVgvQQ
(Jeudi du Songeur suivant (235) : « PAYER DE SA PERSONNE : UNE DRÔLE DE MONNAIE… » )
(Jeudi du Songeur précédent (233) : « ENGOUE-MANIA, OU LA PULSION HAGIOGRAPHIQUE » )