AFBH-Éditions de Beaugies 
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Les Jeudis du Songeur (206)

FLÉAU À L’HORIZON : LE RÉCHAUFFEMENT DÉCLAMATIQUE

C’est l’histoire d’une réalité depuis la nuit des temps si bizarrement cachée, et dont la proche manifestation ne manquera pas d’être fatale à notre civilisation.

Je n’invente rien. Je crois que c’est Rabelais, ce grand navigateur en songe, qui le premier en fit la découverte sans pour autant en déceler lui-même toutes les conséquences. Il m’attendait sans doute...

À peine en effet avait-il, avec ses compagnons quitté une île étrange, « off shore », dont les habitants ne se nourrissaient que de vent (quelle époque !), qu’ils furent tous surpris d’entendre, en pénétrant dans une mer très froide, les bruits et les cris d’une formidable bataille de jadis que le climat d’alors avait gelés, et que les épaisses chaleurs du Gulf Stream venaient de faire remonter sur les côtes des territoires britanniques, après une longue période de glaciation.

Or, de tels « signes des temps » étaient à l’évidence prophétiques !

Et voici que l’autre soir, re-parcourant moi-même en esprit le périple de l’auteur du Quart Livre, au Nord extrême de l’Europe occidentale, j’ai perçu soudain les clameurs sonores et autres fortes paroles historiques que les bourrasques printanières étaient en train de faire bouillonner comme du métal en fusion, non sans les déformer en les décongelant… ! Car il ne s’agissait pas, on s’en doute, de ces platitudes verbales d’auteurs stériles dont on dit de leurs propos qu’ils sentent le « réchauffé ». C’était un tohu bohu menaçant d’éclats de voix et de vocables cacophoniques qui se déversaient comme une houle immense sur des jetées perdues, inondant nos cités… et semant la panique parmi les foules affolées !

J’étais abasourdi face au concert inouï, dodécaphonique, de ce tsunami verbal. Tout vociférait dans le désordre établi de notre monde incohérent. Comment les hommes allaient-ils désormais pouvoir s’entendre ?! Les paroles des plus grands, surgies de partout, éclataient comme des bombes, rivalisant les unes des autres, dans un savant désordre annonçant la fin du monde.

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Il est plus grand mort que vivant / Messieurs les anglais, tirez-vous les premiers / L’homme est une louve pour l’homme / Oil pour oil, dent pour dent / Un tiens vaut mieux que Dieu tu l’auras / Malheur aux vaincus / L’homme ne vit pas seulement de cirque : Un train peut en cacher un autre / / Le spiritueux est rapide, mais la viande est ramollie / Notre-Dame vaut bien une Messe / Un seul être vous pèse, et tout est surpeuplé/ Ils ne passeront pas / Nul ne profite en son pays / Heureux les pauvres en esprit / Vive la fabrique des crétins /Prolétaires de tous les pays, je n’ai pas de leçon à vous donner/ L’argent n’a pas d’odeur/ La langue est fasciste / Qui m’aime me suive / D’où que c’est qu’ça pue donc tant! Honni soit qui mal y pense/ Veni vidi vici / Du beau Du bon Dubonnet ! Mon royaume n’est pas de ce monde / Urbi et orbi / Si vis pacem para bellum ! Vade retro satana !

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Les Entendez-vous ? En fusant dans la nuit comme des feux d’artifice, tous ces vocables perdaient leurs sens ! Comment l’Humanité eût-elle pu désormais s’en sortir ?

Que ferons-nous donc quand jailliront de l’horizon tranquille ces ouragans de mots qui germent dans le Ciel livide de la Bêtise humaine ? Et quand vous apparaîtront les premiers signes de résurgences sonores, resterez vous ébahis devant la catastrophe les yeux ouverts, comme le furent les badauds parisiens sidérés par le crépitement grandiose de Notre Dame de la Cité.

L’Apocalypse du grand dégel nous menace ! Il nous faut tous d’avance réagir au dérèglement déclamatique ! Apprenons à percevoir dans l’atmosphère les bribes floconneux de paroles balbutiantes, avant qu’elles ne se fassent logorrhée visqueuse ! Filtrons les airs, avec ou sans cornet acoustique, et barrons, s’il se peut, le cataclysme linguistique dont l’explosion est déjà là, en puissance. En dépit de notre surdité collective volontaire, face à la bruyante avalanche de discours publics contradictoires, proférés par les humains et archivés dans les glaces du Temps des vieux siècles polaires, nous devons tout faire pour enrayer l’évolution climantarctique qui est en train de transformer en laves volcaniques les vagues de Verbe liquéfié qui s’apprêtent à engloutir les grandes puissances que nous fûmes.

Pour ma part, j’appelle l’Imagination au pouvoir ! Il nous faut dès maintenant prévenir la fonte des paroles congelées, irréversible Fléau du Troisième millénaire. D’ores et déjà, nous formerons, dès l’enfance, dans le cadre d’un scoutisme citoyen, des milices nouvelles de Sapeurs Pompiers, aptes à traquer les bribes sonores du passé inondant aussi bien les bas des fossés que les hauteurs des beaux quartiers. Il faudra à tout prix inventer des armes proportionnées à l’ampleur du fléau qui nous menace : des Aspirateurs de bruits et clameurs intempestives, des Lance-glaces pétrifiant et captant instantanément les moindres « paroles en l’air » – et il y en a ! – avant qu’elles n’explosent en retombant, des Projecteurs de brouillards givrants dissuadant les politiciens trop bavards de noyer l’électeur dans les incontinences de leur démocrachie, des Recycleurs d’énergies phoniques pulvérisant toutes sortes de déchets verbaux qui bavent sur les panneaux de pub, ou polluent nos égouts en gonflants nos égos, des Transformateurs de gisements pétroliers épuisés en puits de silences éternels où seraient renfouis à jamais dans la glace les miasmes des médias de masse qui étouffent l’Esprit des hommes, et je m’en tiendrai salubrement à ces quelques mesures de bon sens, pour ne pas contribuer aux débordements qui engorgent la Toile elle-même, n’oubliant pas que si la parole vaut parfois son pesant d’euros, le silence, qui est d’or, sera bientôt coté sur les marchés…

Le Songeur  (30-05-2019)



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