Elle m’avait fait reconnaître et revivre, par son interprétation, le nocturne 15, op.55 de Frédéric Chopin. Cette jeune pianiste, prénommée Virna, jouait ce morceau avec grâce et tendresse, devant ses camarades d’Académie de Zagreb, avec un allant qui me touchait au point de me faire oublier la version classique mais retenue, du grand Rubinstein.
Écoutez :
https://www.youtube.com/watch?v=E3qHO9aOQYM
Son allant me touchait, ainsi que sa maîtrise, et cette ferveur appliquée avec laquelle elle se donnait comme à une danse – de tout son corps, de tout son cœur– à la musique mélodieuse de Chopin. Bref, je me trouvais ravi, comme un vieil amoureux en proie au charme d’une jeune personne. Il ne lui manquait, me semblait-il, qu’un peu de désespoir, sans quoi l’on accède difficilement à la maturité musicale.
Et puis, dans la fraîcheur de mon engouement imprévu, j’ai osé écouter, pour en savoir davantage, d’autres interprétations : Cortot, un peu trop agitée, Samson François, trop rapide, Horowitz, trop léché, jusqu’à ce que je tombe sur la profondeur de Claudio Arrau. Immédiatement, j’ai retrouvé cette forme de détresse auto-consolatrice qui est la marque de Chopin à mes yeux. L’interprète (j’allais dire « l’inter-prêtre ») semblait interroger la partition pour mieux traduire le vouloir-dire du compositeur– rendre l’inquiétude de l’âme par la lenteur déchirante d’une parole accordée –, laissant peut-être sentir (un peu trop) le travail sous-jacent à son désir expressif. Voici ces cinq minutes :
https://www.youtube.com/watch?v=-7iqTNxlkqM
Visiblement, ce n’était plus le même Nocturne 15 op.55 n°1 que celui qui m’avait séduit précédemment en même temps que son interprète. Il y avait donc – il y a donc – deux Nocturnes portant la même désignation, pensais-je. Et c’est alors que j’en découvris un troisième !
Il s’agissait cette fois de la prestation d’un célèbre pianiste méconnu, qu’on célèbre autant pour sa virtuosité qu’on le méconnaît pour sa sensibilité blessée, capable donc d’être aussi bouleversant qu’il est lui-même bouleversé, un pianiste slave du nom de Richter, celui qui est par ailleurs doté de ce prénom imprononçable – Sviatoslav – l’un des seuls au 20ème siècle à avoir su à la fois, en toute simplicité et fidélité à la partition, transmettre et transcender le désespoir poignant de Chopin auquel il retentissait :
https://www.youtube.com/watch?v=bGotpjTZ-VM
Et tout est dit.
Le Songeur (16-05-2019)
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