ATTENDEZ VOUS À CE QUE…
Inquiet du sort de mon pays, j’ai consulté les mânes de la pythonisse Geneviève Tabouis* :
— Attendez-vous, me dit-elle, avec sa fameuse intonation d’alerte imminente**, à connaître de grandes conversions au sommet de l’État…
— Est-il possible ?
— À l’imprévu, nul ne veut croire : il faut pourtant s’y préparer. Attendez-vous à la visite historique que va bientôt faire le président Macron au Pape François, lequel ne manque jamais de révéler aux gouvernants les desseins secrets de l’Être suprême, notamment lorsque ceux-ci semblent proches de la croyance catholique, apostolique et romaine.
— Mais voyons, que peut bien dire sa Sainteté François à Frère Emmanuel !
— Attendez-vous à apprendre qu’un entretien mystique pourrait prochainement se tenir au plus profond des caves du Vatican. Et vous saurez que la grâce du Saint Père ne manquera pas d’éclairer dès demain son Fils aîné sur la cause profonde des convulsions chaotiques qui agitent en aujourd’hui ce peuple mal gouverné : Il y a quelque chose de pourri au Royaume de France ! s’exclamera le Pape. Et d’avertir le chef d’état qu’il n’est jamais bon qu’une nation soit conduite par un jeune homme qui, du point de vue de la morale catholique, fut et demeure l’amant d’une femme mariée à l’église, et qui, du point de vue de la mythologie grecque, semble avoir épousé sa mère... Attendez-vous à ce que mûrisse alors la grande décision qui va changer la face du monde. Décidés par le Pape à faire le grand pèlerinage de Compostelle, non sans faire un crochet par le chemin de Damas, Emmanuel et Brigitte, soudain saisis de remords, décident de se séparer malgré lui /malgré elle, à l’image de Tite et Bérénice, ou d’Héloïse et Abélard… Attendez-vous toujours à ce que le meilleur puisse découler du pire ! Voici donc le chef de l’état qui divorce et qui souffre, voici le people qui espère et qui pleure, et sans plus tarder, voici que la Providence divine conduit votre souverain sur la voie nouvelle et imprévisible qu’elle avait prévue de toute éternité pour lui : Macron épouse « Miss France » dans la cathédrale de Reims, où figurent nombre de gilets jaunes relookés aux couleurs nationales, et devient enfin le Père du peuple qu’il rêvait d’être.
— O Fatum inopinatum !
— Attendez-vous toujours à connaître des destins imprévus qui échappent aux plus subtils de nos politologues ! Car voici qu’une autre conversion est en marche : le président, Macron, réconcilié avec sa patrie, choisit délibérément de faire un grand pas vers son ex-opposant principal, véritable porte–parole des sans voix du peuple de France : il nomme Premier ministre François Ruffin en personne, qui pardonne et accepte. Les foules sont en liesse. Et ce n’est pas tout : attendez-vous encore à cette annonce soudaine, qui me trouble moi-même au moment de vous la faire,
— Il n’y a pas de quoi, on peut s’attendre à tout !
— François Ruffin vous contacte vous-même et vous propose un portefeuille ministériel !
— Moi ? À mon âge ? Après un AVC !
— Attendez-vous à y croire, malgré des réticences et autres scrupules qui font honneur à votre modestie. La vraie vie doit être une conversion de chaque jour.
— À la limite, je me serais plutôt vu devenir Pape…
— Pas si vite, mon ami : Attendez-vous à connaître un ministère plus difficile, et auquel vous semblez tout préparé…
— Moi ?
— Vous êtes nommé par François Ruffin ministre de l’Instruction publique, de la Culture et de la Communication…
— Mon Dieu !
— Dieu n’y est pour rien, rassurez-vous !
— Et que dois-je faire ?
— Saisir votre chance, servir votre pays. Sans doute éradiquer aussitôt la pub du discours public. Mais surtout, nommer des inspecteurs qui re-penseront les programmes, notamment en ce qui concerne l’enseignement du français.
— Oserai-je imaginer que ce poste puisse aussi être utile à notre association, l’AFBH, qui compte tant d’adhérents dévoués !
— Tout est possible ! Attendez-vous à savoir que l’AFBH pourra accéder au noble statut de « lobby », agissant pour le bien de tous dans les coulisses de la Commission européenne. Attendez-vous à ce que vos amis nommés inspecteurs (L. D. à la culture, Ch. G. à la Réforme des examens, et j’en passe), fassent mettre vos livres au programme du bac ou des licences ès lettres, favorisant la prospérité des éditions de Beaugies… et donc la Croissance !
— Vade retro Satana !
Le Songeur (1er avril 2019)
* Célèbre éditorialiste de Radio-Luxembourg dans les années 1950, Geneviève Tabouis (1892-1985) avait l’art d’annoncer avec une autorité prophétique ce qui allait devoir se passer sur la scène internationale dans les mois à venir. « Elle entamait invariablement ses chroniques par la célèbre phrase fétiche « Attendez-vous à savoir […] et vous saurez que… », et concluait son propos du rituel : « à dimanche prochain, pour les dernières nouvelles de demain. » (Wikipédia)
** Par exemple : https://www.youtube.com/watch?v=IoUUF22uKXw
(Jeudi du Songeur suivant (199) : « L’IDÉOLOGIE POUR LES NULS, EXEMPLES À L’APPUI » )
(Jeudi du Songeur précédent (197) : « UNE EXCUSE AGGRAVANTE » )
