AFBH-Éditions de Beaugies 
AFBH

Les Jeudis du Songeur (193)

DE LA CONNERIE INSTITUTIONNELLE

Petit problème « au quotidien ». En voici l’historique :

J’avais un envoi à poster. Sachant que j’avais un carnet de timbres verts à 80 centimes et qu’il me suffisait d’en coller une dizaine pour affranchir un courrier à destination de l’U.E, je suis allé à la Poste pour valider l’opération. « Attention ! me dit-on sévèrement : pas question d’user de ces timbres-là pour l’international, vous devez utiliser la machine qui imprime le timbre adéquat. » Malheureusement, celle-ci n’acceptait pas de billet, mais seulement des pièces de monnaie. Comment faire ? C’était simple : une fois connu le prix à payer, il suffisait de passer par une seconde machine qui transformait les billets en pièces de monnaie, puis de revenir à la première pour imprimer le timbre spécial. Comme la chose était nouvelle pour moi, et qu’il ne s’agissait pas de se tromper de touches sur le clavier assez resserré (faute de quoi tout est à refaire), l’aimable préposée me pilota auprès des machines, m’expliquant comment saisir le nom du pays, faire imprimer et glisser ma vingtaine de pièces trébuchantes dans la machine. Cela lui prit trois fois plus de temps que naguère, lorsqu’elle-même imprimait le timbre et rendait la monnaie. Moyennant quoi, n’ayant pas tous les jours des envois à faire à l’international, je n’étais pas très sûr de me rappeler le processus à chaque fois. C’est qu’il faut se faire machine pour savoir user machinalement des machines. Elles ne vous servent que si vous les servez.

Si bien qu’ayant perdu trente minutes pour poster ce courrier, je me dis en sortant : « Quel est l’imbécile qui a mis au point ce nouveau protocole, en croyant accélérer les opérations pour mieux assurer le service du public ? »

L’imbécile ? C’était vite dit ! « Mais voyons, repris-je en moi-même, pour imaginer une procédure aussi stupide, un seul individu n’a sans doute pas suffi : ils ont dû s’y mettre à plusieurs. »

C’est que, là-haut, dans les hautes sphères de l’administration française, des cerveaux puissants s’occupent en permanence à penser la gestion des opérations les plus simples, pour faciliter la vie des gens en leur faisant perdre du temps…

À l’évidence, la nouvelle procédure qu’on inflige à l’usager moyen n’est pas le fruit d’un hasard stupide mais d’un dessein parfaitement médité, et sciemment mis au point. Voilà bien ce qui distingue le mot « bêtise » de son synonyme « connerie ». Dans les deux cas, il y a bien stupidité, mais ce qui fait la supériorité de la connerie, c’est qu’elle est intentionnelle : toujours méditée et le plus souvent collective

Et l’avantage des automates à base d’informatique, c’est de rendre savamment compliqué ce qui, bêtement, serait tout simple. Que voulez-vous : la modernité sera technique, ou ne sera pas !

Un autre exemple me vient à l’esprit, celui des cartes de réduction « Senior-Plus » instaurées par l’Institution SNCF.

Le but évident des autorités de notre Service public, c’est bien sûr d’alléger les charges du citoyen moyen, notamment âgé. À ce louable projet s’en adjoint hélas un autre : faire consommer des kilomètres aux retraités, pour optimiser la gestion du transport ferroviaire. D’où l’invention de la carte Senior, avec photo d’identité sérieuse et ressemblante*, et, tant qu’à faire, payante. Rassurez-vous, ce côté dissuasif fut aussitôt compensé par un certain appât du mini-gain : plus était grand le nombre de kilomètres parcourus, plus vous accumuliez des points nommés « s’miles » (amusant, non ?) qui vous facilitaient l’achat de divers objets dans diverses boutiques. Dès lors le banal usager qu’on somma de con-sommer se sentit élevé ipso facto au grade envié de « Consommateur ». Quant aux réductions de prix proprement dites, elles variaient selon la nature des trajets et s’appliquaient surtout aux horaires des trains les moins recherchés. Il suffisait donc, pour s’informer, de consulter un petit fascicule d’une centaine de pages expliquant à tout lecteur muni d’une bonne loupe le fonctionnement et les avantages du système. On y rappelait même une précaution de taille : une fois muni de son billet, le voyageur ne devait pas oublier de porter sur lui sa carte de réduction. Ce dernier point me fut fatal : embarqué dans le TGV franco-belge nommé Thalys, je m’aperçus à l’approche de Bruxelles, alors que le contrôleur entrait dans mon compartiment, que j’avais égaré ma carte ! Je m’excusai aussitôt auprès de lui pour faire état de ma bonne foi. « Ce n’est rien, me dit l’agent : ici, en Belgique, il suffit de montrer sa carte d’identité. » Et bien sûr, la mienne attestait de ma qualité de senior...

C’était étrange, c’était incroyablement original : en Belgique en effet, où l’on a l’intelligence de ne pas trop chercher à paraître en avoir, et où l’on ne propose de réductions au citoyen que dans le but d’alléger sa dépense, on se contente de la carte d’identité où se lit votre grand âge pour contrôler la validité de votre moyen de transport, quel qu’il soit. C’est assez simplet, et fort en retard sur le génie de la connerie française, mais dans le cadre de l’U.E., il est bon d’apprendre à respecter ce qu’on pourrait appeler la « différence » belge…

Le Songeur  (28-02-2019)


* Une carte d’identité, au pays de la joie de vivre qu’est la France, doit en effet être éminemment grave et dépourvue de tout sourire ou d’esquisse de gaieté : chez nous, tant qu’on n’a pas une tête de repris de justice, on n’apparaît pas comme un citoyen digne de ce nom.



(Jeudi du Songeur suivant (194) : « LA TÊTE DE MACRON VOUS REVIENT-ELLE ? » )

(Jeudi du Songeur précédent (192) : « CORN’NEXION » )