LETTRE OUVERTE AUX JUGES DE LA COUR D'APPEL DE PARIS (la 10e Chambre)*
Mesdames, Messieurs,
Ayant appris que certains de mes amis, membres du mouvement des « Déboulonneurs », font appel le 28 de ce mois d’une condamnation remontant à novembre 2016, pour « détérioration légère du bien d’autrui commise en réunion », parce qu’ils ont simplement, en réalité, écrit ce qu’ils pensaient de la publicité sur des panneaux publicitaires, Gare de Lyon, je me crois autorisé à vous faire part de quelques réflexions sur cette affaire, en faveur du droit moral que possède tout citoyen de répondre, sur les lieux mêmes où il se sent « interpellé », au discours incessant et massif que lui adressent les annonceurs.
Il se trouve que j’ai publié en 1985 un essai intitulé Le Bonheur conforme (éd. Gallimard), où j’examine comment les professionnels de la publicité opèrent une véritable normalisation des consciences, au service de leurs commanditaires, dictant ainsi au grand public, parfois à son insu, ses conduites de consommation. Rien n’a changé depuis.
En vérité, s’il semble légitime, pour les entreprises, de faire connaître leurs produits, il faut bien reconnaître que la pression sans répit que celles-ci exercent sur les citoyens a davantage à voir avec ce qu’on a nommé le matraquage publicitaire qu’avec ce que fut l’Annonce faite à Marie de la tradition judéo-chrétienne…
Chacun peut observer qu’en milieu urbain, l’ensemble des messages adressés à la foule constitue un discours provocateur et répétitif qui confine au harcèlement. Le langage que parlent entre eux les professionnels de la publicité est d’ailleurs une perpétuelle métaphore militaire : ils définissent des « créneaux », lancent des « campagnes » dont ils soignent les stratégies et mesurent les « scores d’impact ; il s’agit pour eux, au fil d’un « marketing de combat », de conquérir des « parts de marché ». Les passants dans la rue, tout comme les usagers des transports en commun, sont ainsi chaque jour désignés comme des cibles et visés en tant que tels.
Faut-il alors s’étonner que les cibles se rebiffent ?
Est-il juste de voir les Annonceurs se plaindre de détériorations légères opérées par quelques personnes exaspérées sur ces panneaux qui les traquent, alors qu’il serait interdit de dénoncer à la même place les détériorations non négligeables que ceux-ci occasionnent aux nerfs et aux cerveaux d’innombrables citoyens-cibles qui ne peuvent ni se soustraire à cette oppression, ni lui répondre ?
Où est le délit, et qui mérite la condamnation ? N’est-il pas naturel et même salutaire qu’un petit nombre d’usagers protestent contre ce conditionnement imposé à tous ?
Le Songeur (24-01-2019)
* Ce procès se déroule effectivement lundi prochain 28 février au Palais de Justice de Paris, à partir de 13h30. Les prévenus, au nombre de 7, avaient été condamnés à payer chacun 200 euros à la SNCF, pour avoir exprimé librement, sur des panneaux publicitaires, leurs réponses aux appels qui leur avaient paru s’adresser à eux. Selon mes informations, celles-ci étaient fort éloignées du modèle historique consacré par la Bible : « Je suis la Servante du Seigneur »…
Ceux qui désirent en savoir davantage ou même rectifier certaines de mes erreurs possibles dans la présentation des faits sont naturellement conviés (par la Loi) à assister à cette magistrale séance où Justice sera faite. Il n’est pas interdit, pour nourrir les débats, d’apporter aux juges intéressés quelques exemplaires du Bonheur conforme (avec éventuellement un résumé), ainsi que, le cas échéant (s’il faisait grand froid), d’offrir quelques gilets d’une certaine couleur aux prévenus par trop frileux.
(Jeudi du Songeur suivant (189) : « DU MOI-RIEN À L’UNIVERS-NÉANT » )
(Jeudi du Songeur précédent (187) : « ET SI ON REVENAIT À L’EXPLICATION DE TEXTE ? » )