Un soir d’heureuse ivresse
Sur le boulevard du cimetière
J’ai programmé mon GPS
Pour m’envoyer en l’air
Il demandait : à quelle adresse ?
J’ai répondu : Rue de l’Enfer !
Mais, fit-il, l’enfer c’n’est pas en l’air !
L’Enfer, Monsieur, il est sous Terre !
Bien au-dessous même de l’eau
Qui coule sous le pont Mirabeau !
— Vraiment ? lui ai-je dit,
Eh bien, ma foi, tant pis :
Partons pour le paradis !
— À quelle adresse, Monsieur ?
— Eh bien, voyons, chez Dieu !
— Mais, reprit-il, savez-vous
Précisément où ?
— Comment ça, « où » ?
Voyons, mon bon : Dieu est partout !
Nous partîmes alors en brûlant les feux verts
De vastes avenues menant à l’Univers,
En quête de déserts,
Et d’oasis,
Où Dieu cache, dit-on, des sommes colossales
Que le Vatican place au Paradis fiscal.
Mais ce n’était pas rien de monter jusqu’aux nues,
La Toto toussotait dans le clair obscur blanc
Du vide
D’où parfois surgissaient des sphères inconnues
Puis grimpait en glissant sur l’asphalte ascendant
De lacets enroulés au fil du firmament
Si bien que forcément
Le spectacle bientôt se fit si renversant
Que l’astronef se retrouva sur le dos,
K.O.
Tel un coléoptère agité dont les pattes
Vainement dans l’espace et dans l’air se débattent !
Et moi, je me disais, en m’allongeant immensément
Dans les draps luxueux des couleurs du couchant
Qu’il suffit tout à coup d’être tête à l’envers
Pour deviner enfin le sens de l’univers,
Où les poètes vont rêvant
J’entendais l’astronome Prévert
Dire en riant : « De deux choses l’une,
L’autre c’est le soleil »,
Aragon en plein sommeil
Cherchait en vain la « lune »
Et l’ami Magritte,
Bourré plus encore que sa pipe,
Peignait en pleine Voie lactée
Dieu trônant sur la clef de la voûte étoilée
Les audacieux cherchaient quelques chemins de fer
Menant vers des astres de feu,
Puis embarqués sur des quais imaginaires
Déraillaient dans l’air bleu,
Réduits à fulminer contre le chef de Gare,
Lequel faisait grève par hasard
Refusant de souscrire à l’ignoble dessein
De quadriller nos destins
Le Ciel ouvert
De l’univers
Voile et dévoile
À l’être humain
Les longs chemins,
De son étoile.
C’est alors qu’émergeant hors d’haleine
De l’Océan des Cieux aux rivages effacés,
On entendit soudain crier une baleine :
C’est assez !
Et les mots titubant
Riaient dans le vent,
Et les mots délirants,
Sans cesse vont rêvant
Nostalgiquement
De revenir en avant
Refaire le Temps
Vienne la Nuit sonne l’Heure
Le Rêve demeure
Le Rêve
Jamais
Grève
Ne fait
Apollinaire (31-05-2018)
(Jeudi du Songeur suivant (174) : « FAUT-IL - QUAND MÊME - CROIRE AU PROGRÈS ? » )
(Jeudi du Songeur précédent (172) : « EXERCICE DE STYLE » )