Deux particules
N’en faisant qu’une
S’aimaient d’amour tendre
La Fontaine
Il était jadis deux sœurs qui ne faisaient qu’un seul cœur. Ou peut-être une mère et une fille, mais si semblables qu’on n’eût su dire laquelle était la mère, laquelle était la fille, tant elles ne cessaient, alternativement, d’être l’une puis l’autre à chaque instant.
Certains affirment qu’il s’agissait plutôt de deux jeunes gens qui s’aimaient et se ressemblaient comme deux frères non ennemis, des jumeaux par exemple, mais c’est le type de détail qui ne change rien au cours de l’histoire.
Il advint, par un coup du sort mystérieux,
Non encore élucidé par les chercheux (sic),
qu’elles furent éjectées si brutalement de leur être commun… qu’elles s’éloignaient l’une de l’autre à la vitesse grand V, dans des directions diamétralement opposées.
« Cependant, par nature, ne formant qu’un seul cœur,
Elles restaient unies dans le malheur,
Donnant parfois dans l’élégie
Pour se dire leur nostalgie
[– Je le sais d’un ver de terre,
Poète à ses heures,
Chargé par Jupiter
De mettre en vers
Ce qui arrive à l’Univers –]
Elles avaient beau, malgré elles, se fuir infiniment,
Tout ce qui touchait l’une touchait l’autre au même instant.
Par delà les espaces insondables croissant
Ainsi qu’un précipice immense s’élargissant,
Elles se disaient à tout moment :
Tout ce qui t’arrive m’arrive
Tout ce que tu songes, je le songe de même
J’aime sans fin ce que tu aimes
Le moindre de tes pleurs me fait venir des larmes
Tout ce qui te change me change
Tout ce qui t’inquiète m’alarme
Tout ce qui m’advient te transforme
Tout ce qui meurt en toi de même en moi se meurt
Et tout ce qui persiste en toi-même,
Pareillement, je le demeure. »
Les croyants crurent y déceler la preuve de la fusion divine en trois personnes : la Première, la Seconde, et leur Tout, ce qui précisément fait Trois.
Les savants décrétèrent un postulat nouveau, dit « loi d’intrication », qui conférait à certains êtres doubles la perfection de l’unité dans l’absolu de la solitude.
Chacun à sa manière
Face au mystère
S’amusait à nommer pour paraître expliquer
Sans se douter des torts qu’il infligeait.
Au principe d’identité
Censé régir les moindres destinées
Au sein vaste et mouvant de notre Voie lactée.
Qu’importe, intriquées ou tranchées, les âmes qui saignaient persistaient à s’aimer !
Le Temps d’abord passa, tantôt pratique,
Tantôt quantique,
À chaque seconde traversant
Plusieurs éternités,
Et puis un jour, se ravisant,
Résolut tout à coup de faire machine arrière
Pour stabiliser l’univers.
Et ce fut l’événement pour nos sœurs exilées
L’une de l’autre :
Virant en même temps à 180 degrés
Elles reprirent d’un coup leur course en sens inverse,
Les bras tendus symétriquement vers l’Unité,
À la vitesse deux fois grand V !
Et le miracle de leur Rencontre inespérée,
Fut une telle explosion de joie,
Qu’il en naquit sitôt un nouvel Espace Temps,
Un monde illuminé où jamais ceux qui s’aiment
Ne seraient plus jamais – jamais plus, ô mon Dieu ! –
Séparés !
Cependant les croyants et savants
Depuis la Terre tournicotant bon an mal an
Occupés à bouffer leur soupe primitive
N’avaient naturellement
Rien vu passer de ce sublime dénouement !
Quoique sondant le fond sonore des vagues du Temps
Ils ne percevaient ni l’âme ni le chant
De Bing et Bang réunis,
Tant les têtes pensantes vivent dans le déni
De ce que les vivants savent depuis toujours :
Rien ne gravite que par l’amour !
Au point que déformant le beau prénom de Bing
En un gros « Big » intempestif frappant le Bang,
Nos vieux savants prenaient pour l’horreur d’un Chaos
La suprême harmonie qui se vivait Là haut.
Stephen Hawking revenant (26-04-2018)
(Jeudi du Songeur suivant (169) : « LE CHIEN EMPATHIQUE » )
(Jeudi du Songeur précédent (167) : « SI J’AI BIEN COMPRIS, UN SYSTÈME C’EST… » )