Chaque matin, pour stimuler mes neurones, j’étale sur mes tartines plusieurs couches de miel. C’est une vérité d’expérience : mon cerveau ne penserait pas sans sa ration quotidienne de sucre.
Les fanatiques d’une alimentation saine auront beau hurler au nom de la diététique : j’ai Teilhard avec moi ! Et mes songes, pour vous.
Pierre Teilhard de Chardin (1881-1955) l’a en effet définitivement établi : l’Esprit est une propriété de la Matière. Celui-ci émerge lorsque celle-là se complexifie. Voici ce qu’il en dit dans un court essai intitulé « L’atomisme de l’esprit », dont le seul petit défaut n’est peut-être que l’abus des majuscules* :
La Matière qui nous constitue n’est pas une pure somme quantitative d’éléments particuliers. Elle est une réalité extraordinairement organisée. Elle surprend d’abord par le nombre brut des diverses particules qu’elle associe : par exemple, « il y a 6000 à 20000 atomes d’hydrogène dans une seule molécule de protéine, 68000 dans l’hémoglobine du sang, quatre millions dans le pigment rouge du foie, 17 et même 25 millions dans un grain de virus ». En outre, cette multitude d’éléments chimiques variés, dans de semblables proportions, se trouvent concentrés (- structurellement centrés sur eux-mêmes -) dans les moindres corpuscules vivants ou pré-vivants. S’emboîtent alors, en se hiérarchisant, des séries de « combinaisons moléculaires, micellaires, granulaires, cellulaires, histologiques. Tous ces arrangements se superposent et s’agencent en progressions géométriques […] » Et ce qui nous confond, c’est que ce mécanisme autocentré, qui ajuste d’innombrables pièces, s’opère sous des dimensions infiniment réduites. Dans la Matière vitalisée, « l’organisation atteint une densité formidable ».
Par delà l’infiniment grand et l’infiniment petit, un nouvel abîme se crée alors sous nos yeux : « l’abîme de la synthèse, — les profondeurs fascinantes d’une Matière qui, sous un volume minimum, parvient à s’échafauder sans limite sur soi-même au cœur de nous mêmes. » L’axe du complexe traverse les dimensions du Très Grand et du Très Petit, sans s’y réduire ; la vitalisation de la matière est ainsi comme une troisième dimension qui naît de sa capacité à se complexifier.
Dans cette perspective, on comprend que la « Vie » ne soit plus une invention métaphysique, mais la réalité structurelle de cette « centration sur soi » qui unifie et fait fonctionner ce qu’on appelle un « organisme ». « L’édifice fantastique représenté par la moindre particule animée forme un tout […] » Or, « par nature un organisme, plus il est compliqué, ne subsisterait pas, ni ne fonctionnerait, s’il ne formait pas structurellement un système centré. » Sa persistance dans la durée implique une logique interne, qui veille à le faire demeurer en fonction. Une sorte de psychisme élémentaire semble le gouverner. Cette « centréité » dynamique, c’est déjà l’once de la vie.
Or, si l’on regarde, parallèlement, en quoi consiste pour nous ce processus intérieur qu’on nomme « Conscience », on voit que celui-ci suppose toujours « l’idée de reploiement et de resserrement d’un être sur soi-même. Voir, sentir, penser, c’est agir ou subir comme foyer de convergence pour l’immense éventail des choses rayonnant autour de nous. C’est être intérieurement centré. »
Ainsi, que nous observions le moindre organisme vivant de l’extérieur, ou notre propre fonctionnement psychique au-dedans de nous-mêmes, il apparaît que « Conscience et Complexité sont les deux aspects d’une même réalité, le Centre ». La vitalisation est inhérente à la complexification, et plus s’élève le degré d’organisation et de centration, plus s’accroît le « psychisme » des organismes. De l’inorganique à l’organique, il y a une différence de degré, non de nature. L’Esprit naît de la Matière qui le recélait en puissance. L’Hominisation en dérive directement, comme fruit de l’évolution.
Et cet essor n’est pas près de s’arrêter : « Rien ne nous autorise à penser que, en nous, la Moléculisation de la Matière plafonne. Mais tout indique plutôt que, en l’Humanité et à travers elle, le Cosmos continue à dériver laborieusement vers des états de complication, et donc ce centration, et donc de conscience croissantes. »
Do you understand ?
Résumons-nous :
Au début, il y a la Matière. Au fur et à mesure de sa complexification, elle devient Vie et Conscience. À la fin, elle débouche sur le Verbe, et le Verbe c’est Dieu.
Conclusion :
La Matière est Esprit qui Bondit vers le Ciel…
Et l’on voudrait m’ôter ma Tartine de Miel ?
Le Songeur (09-11-2017)
* Œuvres complètes, Tome VII : L’Activation de l’énergie (texte écrit en 1941).
(Jeudi du Songeur suivant (146) : « VERTIGE » )
(Jeudi du Songeur précédent (144) : « À S’Y MÉPRENDRE… » )