« — Bonjour, Dieu.
— Bonjour, François Brune.
— Tu ne peux pas dire « Bruno », comme tous mes amis ?
— Je voulais t’honorer. C’est tout de même toi qui as pris la liberté de te renommer.
— Pas vraiment, c’est ma femme qui…
— Ce n’est pas une excuse : tu l’as choisie.
— Oui, mais je ne savais pas…
— On ne sait jamais. Même Moi. Bon, venons au fait : qu’est-ce qui t’amène ?
— Tu dois bien le savoir, Toi qui sais tout d’avance.
— Oui, mais j’aimerais te l’entendre dire.
— Vraiment ? Pour t’amuser ?
— Non, sincèrement. Tu sais ce qui est écrit : Demandez, et l’on vous donnera. Cherchez, et vous trouverez.
— C’est bien ce que j’ai lu, et c’est pourquoi je viens à Toi. Voici mon problème :
— Exprime-toi, fiston, n’hésite pas.
— Eh bien, je voudrais… ne pas mourir.
— Quoi ? Toi aussi, fiston ? Mais c’est la loi !
— La loi, la loi, c’est vite dit. Ne peux-Tu m’accorder… une dispense ?
— Tous les mêmes, ces humains !
— Ah non, moi, ce n’est pas pareil. Je ne souhaite vraiment pas mourir. Cela me terrifie.
— Sacrés bonshommes ! Mais est-ce que tu te rends bien compte de l’énormité de ta demande ? Tu ne réclames pas moins que l’immortalité, qui est le privilège des dieux !
— Pas du tout. Je voudrais seulement, petitement, ne pas mourir. Je n’en veux pas plus. N’interprète pas mon désir en l’affectant du coefficient infini qui est la mesure de Ton Être.
— Je les connais, les hommes ! Ils quémandent un simple répit, « ne pas mourir ». Et quand ils réalisent que ça leur confère l’immortalité, ils se révoltent contre le Créateur !
— C’est pourtant un peu Toi qui nous as faits comme ça, nous, les hommes.
— Minute, papillon ! Je vous ai déjà donné la liberté, la fraternité, l’égalité…
— En paroles…
— En parole et en vérité ! La Liberté, vous l’avez pour peu que vous respectiez celle d’autrui. La Fraternité, vous l’avez pourvu que vous traitiez en frères vos semblables. Mais l’Égalité, dès que vous l’obtenez, vous réclamez des dispenses !
— Quoi, pour toi, l’égalité pour tous, c’est la mort universelle ?
— La loi est la loi.
— Tu n’entends pas ma plainte, Seigneur ? Je t’en supplie, je suis un cas très particulier : je voudrais tant ne pas mourir ! Je ne peux pas, je ne veux pas, je ne désire pas mourir !
— Tu trouves donc la chose normale pour les autres ? Tu es bien un homme : tu veux la loi pour tous, et l’exception pour toi.
— Non, je ne veux pas non plus la mort des autres, du moins de ceux que j’aime…
— Tous les mêmes ! Mais voyons, as-tu au moins conscience de t’attaquer à une loi qui ne souffre aucune exception !
— Vraiment ? Vraiment ? Pourtant, j’en connais au moins une.
— Ah, tiens ! Tu es donc mieux informé que Moi ?
— Ne fais pas le Malin, mon Dieu. Tu dois tout de même Te souvenir d’une certaine Mère porteuse…
— Une mère porteuse ? Et puis quoi encore ?
— Une Vierge, par-dessus le marché !
— Fiston, je ne sais pas ce que tu veux dire !
— Marie, ça ne te dit rien ?
— Ah, Marie, attention : ce n’est pas pareil !
— Et voilà ! Tu es bien comme nous, dès qu’une objection T’est faite, tu t’offusques : ce n’est pas pareil ! Est-ce que Marie n’est pas femme, une femme de l’espèce humaine ? Est-ce qu’elle n’a pas bel et bien échappé à la mort ? Tu sais très bien qu’à peine endormie, elle a été directement transportée au Ciel. Tes Papes l’ont confirmé. Ça s’appelle l’Assomption, que je sache, et je ne confonds pas avec l’Ascension, bien que ce soit du pareil au même.
— Tu mélanges tout ! Relis ton Droit civil, relis ton Droit canon ! Relis les experts en théologie ! Marie a été conçue dès l’origine en mon sein, et…
— « En ton sein » ? Dis-donc, Dieu Tu ne serais pas un peu transgenre sur les bords ?
— Arrête de tout ramener aux vulgates médiatiques, s’il te plaît ! Je te jure que Marie fut conçue en mon sein avant le péché d’Adam et Ève, lequel devait entraîner la Mort pour tous. Marie, conçue sans péché avant le Péché (originel), précéda donc la loi. C’est clair. Et la loi divine n’est pas rétroactive. Si bien que le « cas Marie » incarne magnifiquement l’adage suprême selon lequel l’exception confirme la règle. Car cette règle, la mort pour tous, même mon Fils unique n’y a pas échappé !
— Ton Fils, ce n’est pas la même chose. Il l’a bien voulue, sa mort. Il l’a voulue avec Toi, acceptée en Ton Nom. Serait-il, lui aussi, une exception qui confirme la règle ?
— Ah, quelle misère d’entendre les humains ratiociner à perpète ! Il faut comprendre, nom d’un chien ! Pour permettre à mon Fils d’être enfanté par une Mère saine, Je devais concevoir cette sainte mère sans péché, je devais la rendre prête-à-porter l’Enfant divin, pour le cas où Celui-ci ferait le choix de « sauver » les hommes en passant par Elle, ce qui était alors une option, et non une prédétermination. C’est clair, non ?
— Sans doute. Mais savait-il, en prenant cette option, qu’il reviendrait de la mort ? Que la mort ne serait pas pour lui un néant définitif comme elle l’est pour nous ? Ne bénéficiait-il pas d’une dispense analogue à celle que je Te demande depuis un quart d’heure ?
— Il serait certes difficile d’imaginer qu’il n’en ait pas eu conscience. Comment un Dieu-Père pourrait-il cacher la chose à ce Fils, engendré et non pas créé, de même nature que le Père ? Il faudrait interroger l’Esprit qui, contrairement à toi, est toujours de bonne foi.
— Mais ton Fils, que tu nommes parfois « Junior », c’est bien Jésus ?
— Absolument. Et J’ai été heureux d’apprendre, grâce à Lui, que cette expérience de la Mort, qui semble si affreuse au regard des hommes, n’est en réalité qu’un court passage, une parenthèse à peine douloureuse, sinon allègre.
— Tu m’en apprends de belles ! C’est un scoop ?
— Si la souffrance qui précède la Mort est parfois pénible, l’épreuve en elle-même est parfaitement surmontable.
— Tiens ça !
— Et pour une raison classique : tant que tu n’es pas mort, tu n’as conscience que de ta vie. Et lorsque tu es mort, par définition, tu n’as conscience de rien du tout. La mort n’est qu’un mythe ! Personne ne la « vit », puisque tu vis encore tant que tu n’es pas mort.
— Ah oui ? Et la « résurrection, alors ?
— Idem. Tant que tu n’es pas ressuscité, tu n’as pas conscience d’être mort. Et lorsque tu reviens à la vie, tu ne peux te remémorer un état mortel où, par définition, tu n’avais plus la conscience susceptible de le mémoriser. Ce sont les autres, et eux seuls, qui peuvent t’affirmer que tu es ressuscité, et non simplement réveillé d’un sommeil naturel. Toi, la seule chose que tu puisses alors affirmer, c’est que tu es vivant. Et en ce qui concerne Junior, qu’il est « Le » Vivant par excellence.
— Je crois rêver. Pourquoi « par excellence » ?
— Tu ratiocines encore ? Si tu veux tout savoir, je t’apprends que l’aventure, pour Junior, s’est passée comme une lettre à la poste. À peine revenu par mes soins de son « moment » de mort effective, il est descendu aux Enfers pour y récupérer le troupeau infini des âmes méritantes — aussi bien celles du passé que celles du présent et celles de l’avenir —, et qu’il les a toutes ramenées au Bercail céleste, d’où Je te parle actuellement.
— Je rêve.
— Et même, si cela peut te remonter le moral, faute de pouvoir t’accorder une vaine « dispense », je puis te faire une confidence que tu t’empresseras vite d’oublier.
— J’écoute.
— Eh bien, sache qu’en dépit de tes incartades puériles, tu figures déjà, virtuellement, parmi les heureux du Bercail. Si bien que tu peux mourir tranquille, mon petit Bruno… »
Le Songeur (04-05-2017)
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« LE COMBLE DE L’HORREUR…, HISTOIRE DE RIRE UN PEU » )