Scénario hollywoodien
« 1/ Très banalement, un lendemain de fête, à l’occasion du ramassage des poubelles de la ville de Lyon, plaque tournante des échanges internationaux, on découvre – débordant d’un sac plastique – une touffe de cheveux ou de poils collés, mêlée de ouate ensanglantée. Les éboueurs ne s’inquiètent pas, la confondant avec quelque serviette hygiénique.
Quelques jours plus tard, dans un autre quartier, c’est une sorte de « pain d’épice », parfaitement parallélépipédique, constitué de cheveux bien tassés et comme enduits de sang desséché, qui attire l’attention des employés. Le responsable signale l’étrangeté du fait à son supérieur hiérarchique.
Puis, ce sont deux autres incidents de même type, dans les déchetteries municipales, qui finissent par alerter un chef de service, lequel commande une analyse du pain d’épice.
2/ Cependant que la vie continue, la brève analyse, opérée sous quinzaine, confirme que ce bizarre « paquet » se compose bien de cheveux et de sang humains. Chose étonnante, certes, mais on voit tant de bizarreries chez les gens qu’il n’y a pas lieu de sonner l’alarme. C’est qu’on trouve tout dans les poubelles, comme aux Galeries Lafayette. Un petit journal local n’en fait qu’une brève sans conséquence, à ceci près qu’un policier anonyme s’intéresse à l’affaire. Pour quel service travaillerait-il ? Qualifions-le d’Espion n°1.
C’est alors qu’un événement non négligeable, cette fois, fait tout à coup du bruit : toujours à Lyon, à la frontière de Villeurbanne, c’est le cadavre d’un enfant de 10 ans qui émerge, jeté en chien de fusil, dans une grosse poubelle de restaurant. Signe particulier, l’enfant est chauve. Ou plutôt, il a été tondu jusqu’au sang, comme l’indiquent les éraflures grossières qui sillonnent son crâne. Une mort qui, selon toute apparence, n’est pas naturelle.
Cette fois, le fait divers n’en est plus un. Les médias s’en emparent, les journalistes fabulent sur l’existence d’une possible secte de vampires, la police enquête. Et notamment, le policier anonyme évoqué ci-dessus, un jeune homme doué qui entend faire parler de lui, prêt à l’épreuve et désireux d’en découdre, comme en recrutent maintenant les services secrets de tous les pays, impressionnés par les aventures retentissantes du Docteur Jones.
3/ Les hypothèses et analyses se multiplient, d’autant qu’un second cadavre est découvert dans une sombre rue de Paris, celui d’une jeune fille de 12-13 ans au crâne également rasé. Des autopsies sont pratiquées, aux conclusions claires et nettes :
• Il ne s’agit pas de meurtres, mais de décès par hémorragie, suite aux excès de zèle du ou des tondeurs ;
• Visiblement, ces « scalps » ne visent qu’à collectionner les chevelures des victimes, comme si l’on avait affaire à un nouveau type d’obsédé : le « tondeur en série » ; avertissement est donné aux plus jeunes de porter des bonnets bien serrés ;
• La nature du sang analysé présente des caractères inconnus, peut-être archaïques, bref des anomalies inhabituelles, méritant des examens supplémentaires. Infections virales ? Mutations génétiques ? Rien n’est exclu ;
• Les cheveux eux-mêmes intriguent les chercheurs, comme si le sang suintait de leurs tiges, ce qui explique leurs entrelacements inextricables. On dirait des tresses qui ne cessent de stresser.
• Enfin, faut-il le préciser, le masque mortuaire des enfants frappe par son aspect grimaçant, indice d’une douleur insupportable dont la raison, peut-être de nature biologique, demeure inexplicable pour l’instant.
4/ La presse internationale s’émeut. D’autres incidents se produisent ailleurs, dans d’autres pays, laissant supposer la menace d’un phénomène mondial. S’il y a vol de chevelures, quelle en est l’ampleur ? Et à qui profite le crime ?
Tandis que les laboratoires affinent leurs recherches, les polices officielles ou officieuses enquêtent. Les Gouvernants semblent se taire, comme s’ils en savaient trop. Ou comme s’ils jouaient à en savoir trop pour mieux cacher qu’ils ignorent tout. Les foules ont peur.
5/ Et voici qu’éclate la vérité scientifique ! Quelque part sur notre planète existent des groupes humains dont les cheveux ont une double propriété : ils saignent abondamment lorsqu’on les coupe ; mais aussi, leurs brins pileux étant dotés de ramifications nerveuses, le porteur souffre horriblement au moindre coup de ciseau.
D’innombrables questions se posent aussitôt. D’où viennent ces groupes de chevelus sanguins ? S’agit-il vraiment d’humains, comme vous et moi ? Descendent-ils d’une colonie d’hominidés extraterrestres dont les gênes se seraient croisés avec d’autres ethnies bien de chez nous ? À l’heure de la mondialisation, où les types humains s’entremêlent en même temps que leurs caractères propres s’effacent, peut-il naître ici ou là des quasi mutants dotés de chevelures sensibles ? Et pourquoi tant d’enfants tremblent-ils de peur à l’idée d’aller chez le coiffeur ? Serait-ce l’effet d’une mémoire génétique ?
Mais ces questions savantes ne sont rien à côté des hypothèses qu’échafaudent les polices les plus informées autant que les plus lucides : s’il y a vol de ces cheveux de sang, c’est qu’il y a un trafic clandestin particulièrement juteux, c’est le cas de le dire. Or, qui a besoin de sang, et de sang frais ? La Terre entière, bien sûr ! Et d’abord la médecine officielle, dont les manques sont criants, et les diverses collectes bien insuffisantes à les combler. Le sang humain, périssable et toujours sujet à la contamination, deviendrait-il une denrée dont les prix s’envolent sur les marchés mondiaux ? Chacun sait que les collectivités publiques ne sont pas seules sur ce grand marché. De nombreux particuliers en réclament des doses sans fin, comme ces milliardaires en mal d’immortalité qui croient pouvoir prolonger leurs existences en buvant le sang d’autrui !
6/ Un scoop fait alors le tour du globe ! Un chercheur-savant-justicier-aventurier, par ailleurs journaliste d’investigation, apporte un témoignage hallucinant. Personne ne sait pour quels médias ou quels services secrets il travaille, – qualifions-le d’Espion n°2 –mais son cri d’effroi stupéfie le monde. Ce qu’il annonce, ce qu’il a vu de ses yeux vus, dans des contrées tropicales d’Extrême-Orient, c’est que se camouflent au fond de grottes naturelles de très modernes communautés de vampires rescapées des temps immémoriaux. Qui l’eût cru ? Et pourtant, il l’a vu ! Au risque de sa vie, notre aventurier a suivi des pistes étranges, et vécu peu ou prou l’aventure d’Indiana Jones en quête du Temple Maudit. La page la plus saisissante de son reportage, illustrée de photos horrifiques, présente le repas des Vampires : une sorte de méga-scène pseudo évangélique où ceux-ci trinquent entre eux dans de grands éclats de rire aussi écarlates que le sang de leurs vases fumants, tandis qu’au fond de la caverne, plus ou moins enchaînés, des troupeaux d’humains aux cheveux taillés en brosse, jeunes encore, les regardent en bêlant de douleur. Des bêlements de terreur et d’angoisse, qui agrémentent de volupté auditive le sadisme de leurs maîtres ! On comprend que les coupes de cheveux se pratiquent précisément au cours des intermèdes qui ponctuent les collations de ces derniers, qui hument alors sans pitié le sang frais, donc chaud, de leurs victimes quotidiennes.
Il faut l’avoir vu pour le croire, et l’entendre retracer pour l’imaginer… à contrecœur.
Pourquoi des bêlements ? Est-ce que les gênes de ces humains, porteurs de chevelures sanguines, modifient également leurs cordes vocales, les rendant incapables de gémir ou crier comme vous et moi, au lieu de bêler ? Les gênes moutonniers seraient-ils communs à certaines espèces humaines – on n’ose parler de races ? L’histoire ne le dit pas, ou pas encore.
7/ C’est alors l’action du policier anonyme évoqué ci-dessus comme Espion n°1, qui relance totalement l’affaire. Celui-ci dénonce dans la presse internationale l’imposture du précédent protagoniste, que nous venons de nommer Espion n°2, qui ne serait qu’un espion double. Que prétend donc Espion n°1 ? Que lui aussi a fait son enquête à l’autre bout du monde. Qu’il a reçu des menaces, échappé de peu à des pièges mortels. Et que ce qu’il a découvert, ce ne sont pas des vampires préhistoriques, mais des usines biologiques bien contemporaines, où se commettent des atrocités bien pires que celles filmées par l’auteur du pseudo « scoop » ayant bouleversé la planète.
« Jamais, proclame-t-il, il n’y eut de tels vampires. » Ce ne sont que des mythes, exploités par l’imaginaire hollywoodien, pour mieux cacher les nouvelles réalités de l’exploitation impitoyable de l’homme par l’homme. Les bêlements n’existent pas, c’est de la mise en scène ! Ce qui existe, en revanche, ce sont des mutations génétiques hasardeuses, tentées dans ses laboratoires secrets par un puissant groupe multinational chimico-pharmaceutique, en vue d’améliorer définitivement l’espèce humaine, au risque de multiplier les ratés, les bavures, et leurs conséquences terrifiantes.
L’une de ces bavures se trouve être précisément la fabrication d’humains à chevelure sanguine, qu’il fut d’abord question d’éliminer dans l’œuf, si l’on ose dire, jusqu’à ce qu’un directeur du marketing pointe, en Conseil stratégique, l’immense avantage qu’il y aurait à s’emparer du marché du sang, « tout à la fois pour le bien de l’humanité et le profit de notre entreprise. Puisque nous ne pouvons plus faire machine arrière, et supprimer les mutants que nous avons créés, exploitons-les, en les faisant bénéficier eux-mêmes de leur précieuse production. »
« Espion n°1 » cite alors de larges extraits du document officiel qu’il a réussi à subtiliser. La multinationale en question a déjà accumulé d’immenses stocks de « liquide », en faisant « travailler » secrètement des volontaires, et parfois des non volontaires de moins de douze ans, dont la production est qualitativement très supérieure. Déjà, des volumes conséquents de sang nouveau ont pu être déshydratés et reconvertis en une sorte de très riche engrais, ensaché sous forme de pastilles vertes, dont le seul ennui, la pluie advenant, et de faire rougir momentanément les champs. Voici comment l’avenir de l’alimentation mondiale est aux mains des tondeurs !
8/ Espion n°1, à peine a-t-il dévoilé le scandale, sans avoir encore déposé ses pièces à conviction et désigné les responsables mondiaux de l’imposture fructueuse, qu’il s’empresse pour témoigner de se rendre de Bornéo à Genève, mais en faisant la malencontreuse erreur de prendre le fameux Boeing MH317 qui s’est perdu, on le sait, dans l’Océan indien sans laisser de traces.
9/ La Communauté internationale, alertée du danger qui pèse sur le monde, n’en décide pas moins de prendre le taureau par les cornes. L’ONU, l’OMS, l’OMC, le FMI, la Croix-Rouge (qui annonce la couleur), ainsi que d’autres organisations de bienfaisance planétaire se réunissent. Des lobbys divers, pour faire entendre la voix directe des peuples, assistent de leur présence agissante la conférence mondiale destinée à traiter le problème.
Il est bien sûr impossible de retracer les débats. Sachons simplement que :
• La nature sociobiologique des chevelus sanguins est pleinement reconnue comme humaine, y compris dans leur « différence », notamment sous l’influence des ligues transhumanistes, et compte tenu du fait que la prolifération de ce type d’individus, n’étant pas maîtrisable, ne peut plus être freinée ;
• Il est par ailleurs reconnu que, si le sort des tondus n’est pas enviable, notamment lorsqu’ils sont jeunes et forcés, cette nouvelle source de sang frais, – à l’heure où fleurissent des sectes avides de survie dont les liturgies comportent l’obligation rituelle de boire du sang humain – a fait notablement baisser les meurtres rituels et clandestins qui se multipliaient ; ce qui est un progrès ;
• Les nations s’accordent sur la sage devise rappelée par la France : « Ce qu’on ne peut empêcher, tentons de l’ordonner, au nom du principe de responsabilité. » Dans cet esprit, quelques modifications sont apportées à la « Déclaration des droits de l’homme », pour y inclure la catégorie nouvelle des humains aux cheveux saignants, au sein des autres variétés existantes, en évitant bien sûr d’user des mots « espèce » ou « race ».
10/ La Communauté mondiale ayant rappelé les grands principes, l’horreur qui avait bouleversé les peuples devient une réalité naturelle, et innovante, de ce que certains nomment la « marchandisation » du monde.
D’une part, les scientifiques font un maximum de recherches pour rendre indolore la coupe des cheveux de ceux qui les ont saignants.
D’autre part, dans la plupart des pays, la production de sang humain, venant s’ajouter aux collectes traditionnelles, n’est autorisée que dans des usines conçues à cet effet, sous la haute surveillance des autorités sanitaires.
Enfin, pour freiner toute tentative de dumping faussant la concurrence entre pays pauvres et pays nantis, des quotas d’échanges hémato-commerciaux sont fixés chaque année à toutes les nations ayant signé la « Charte du Sang Frais » (CSF), en fonction de l’évolution de leur situation démographique, pour éviter toute exsanguination des couches miséreuses… »
Ainsi triomphent la Paix et la Justice dans le partage du sang entre les Hommes. »
S’il vous plaît, n’accusez pas ce scénario d’être quelque peu « tiré par les cheveux »*. Je voulais simplement dire, à ma manière, que l’horreur, au 21ème siècle, n’est plus dans le fantastique.
L’horreur est désormais dans l’économique
Le Songeur (27-04-2017)
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(Jeudi du Songeur suivant (131) : « JE VOUDRAIS… NE PAS MOURIR » )
(Jeudi du Songeur précédent (129) : « DE LA DÉDICACE, OU COMMENT MENTIR-VRAI » )