Je songe – cela s’impose un « jeudi saint » – au texte de Pascal intitulé le Mystère de Jésus (Pensée 553, éd. Brunschvicg), longue méditation sur « l’agonie du Christ » au jardin de Gethsémani, la veille de sa mise en croix (Matthieu, XXVI). Ce texte est d’abord une évocation intense des souffrances morales du Christ, qui conduit à entrer en compassion avec lui ; puis vient la « réponse » de Jésus, qui apaise l’inquiétude du pécheur qui s’est senti responsable de ces maux. En voici quelques extraits.
Pascal :
Jésus :
Pour le croyant, ce texte éclaire le mystère de la rédemption : il comprend qu’il lui suffit d’unir ses souffrances à celles de Jésus-Christ pour contribuer au salut de l’humanité : « Il faut ajouter mes plaies aux siennes, et me joindre à lui, précise Pascal, et il me sauvera en se sauvant ».
Pour l’athée moderne, cette vision est choquante, délirante, doloriste : si lyrique soit-elle, elle est beaucoup trop culpabilisante pour n’être pas irrecevable.
Mais qu’en est-il pour l’humaniste agnostique, ni croyant ni incroyant ? Par delà Jésus-Christ, Pascal n’exprime-t-il pas ici, avec une prescience aiguë, le drame universel de l’Homme souffrant ? La destinée du Juste, injustement traité ?
Il me semble que, si dans ce texte on remplace « Jésus-Christ » par « l’Homme souffrant », on lui trouvera une dimension propre à toucher tout être qui se sent fraternellement humain.
Le Juste – quel qu’il soit – soudain frappé par un châtiment injuste, disproportionné, ne se sent–t-il pas délaissé seul à la colère de Dieu ? Quel innocent, attendant la mort dans sa cellule, n’éprouve infiniment cette peine et cet abandon dans l’horreur de la nuit ? Combien d’êtres humains meurent dans la douleur spirituelle de ne savoir pourquoi, et dans leur glaciale solitude, bien avant leur trépas, ont déjà la mort dans l’âme ?
Le Juste injustement traité, quelle que soit son énergie morale, aspire au réconfort d’autrui ; il appelle la présence attentive de ses amis, il voudrait « de la compagnie et du soulagement de la part des hommes » ; mais ceux-ci dorment, nous dormons toujours quand il faudrait veiller !
Alors éclate l’appel à tous les hommes de bonne volonté face au tragique humain : il ne faut pas dormir pendant ce temps-là !
Il ne faut pas dormir… Nous y reviendrons donc jeudi prochain.
Le Songeur (17-04-14)
Jeudi du Songeur suivant (14) : « JÉSUS, OU L’HOMME SOUFFRANT (suite) »
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