Je songe à cette mystérieuse relation qui unit le signifiant d’un mot (sa graphie, sa sonorité) à son signifié (son sens), de sorte qu’on ne cesse de confondre journellement la chose avec son signe. On connaît l’exemple de ce vocable magnifique, citadelle, qui évoque si joliment une cité fortifiée, juchée sur un roc, à l’heure où le soleil couchant fait rougeoyer ses antiques remparts. Certes ! Mais alors, que dire de cet autre vocable, mortadelle, aux connotations parfaitement antinomiques ? La logique poétique en prend un sacré coup !
En décrétant Nous sommes tous des bosons de Higgs, dans un billet précédent, j’avais gravement négligé cette épineuse question. Comment a-t-on pu désigner d’un mot aussi dense une particule aussi évanescente ? Et sans le vouloir, n’ai-je pas réparé cette erreur, en appliquant aux êtres humains la plénitude sonore de ce néologisme ?
Quand on y pense, en vérité, quoi de plus posé, solide, mûr, fiable, péremptoire, indiscutable que ce substantif : BOSON. Et surtout, ne séparons pas les deux syllabes. Pris isolément, le « bô » a quelque chose de bête et prétentieux, la sonorité « zon » ne renvoie qu’à l’inconséquence ; mais voilà, lorsqu’on unit ces deux particules – ô miracle de la fusion nucléaire ! – on obtient une réalité nouvelle, une sorte d’être nouveau qui n’est autre que l’homme confirmé bien au cœur de son époque, non plus cet atome périssable des mortelles civilisations passées, mais l’homme-avenir, mature et adapté, sûr de sa croissance et de son pouvoir technico-scientifique. Nul doute que, doté d’une telle appellation, le boson ne prenne avantageusement la place du nom homme dans nos bons vieux adages antiques :
Le boson est la mesure de toute chose
Un boson averti en vaut deux
L’homme n’est qu’un « beau-zon », le plus faible de la nature, mais c’est un boson pensant
Je suis boson, et rien de ce qui est bosonnien ne m’est étranger
Le boson ne vit pas seulement de pain
Bosons de tous les pays, unissez-vous !
Cette dernière formule est d’autant plus pertinente, notons-le, que dans l’univers quantique, les bosons se caractérisent par leur tendance à s’agréger.
Mais il y a davantage. Des recherches historiques ont révélé l’existence, il y a deux ou trois millénaires, d’une dynastie royale portant le nom de Boson. Boson 1er fut à l’évidence un solide gaillard, franc, chaleureux, gourmand de vivre, respectueux de ses épouses, bref, préfigurant l’homme mûr d’aujourd’hui. Cet être libre et responsable, convaincu de l’égalité des sexes, ne disait jamais à sa partenaire « Ma bobonne », mais tout naturellement « Ma bosonne ». Bien entendu, on imagine cette bosonne bien en chair, aussi consistante qu’une Valérie Trierweiler, loin du top-modèle Julie Gayet, qu’on traiterait plutôt de bosonnette.
Ainsi croissent les mots, en toute logique poétique. On comprend dès lors qu’au substantif boson corresponde le verbe bosonner. Et comme la Rime est Raison, bosonner voudra dire penser raisonnablement, tandis que l’expression honnête boson qualifiera désormais l’idéal classique, remis au goût du jour.
Au lecteur de développer ces perspectives, si du moins il ne les juge pas débosonnables.
Le Bosongeur (10-04-14)
(Jeudi du Songeur suivant (13) : « JÉSUS, OU L’HOMME SOUFFRANT »)
(Jeudi du Songeur précédent (11) : « TRAGIQUE HUMAIN ET JOIE DE VIVRE »)