Ce mot de Sacha Guitry n’a rien perdu de son actualité, après un début d’année marqué par le froid et la maladie.
Ayant moi-même eu quelque problème de santé, dont je vais peut-être réchapper malgré les médicaments que j’absorbe religieusement, j’ai trouvé pertinent de relire ce que Molière fait dire aux médecins de leur art.
On connaît la célèbre réplique extraite de L’Amour médecin : « Il vaut mieux mourir selon les règles, que de réchapper contre elles. » (ACT. II, Sc. 5) ; on connaît moins, dans cette même pièce, l’éloge que fait de son métier le dénommé FILERON, autorité médicale locale d’expérience, qui reproche à ses deux jeunes collègues (Messieurs TOMÈS et DES FONANDRÈS) de s’être disputés au chevet d’une malade, en prônant des remèdes divergents.
Voici ce texte :
M. FILERIN :
« – N’avez-vous point de honte, Messieurs, de montrer si peu de prudence, pour des gens de votre âge, et de vous être querellés comme de jeunes étourdis ? Ne voyez-vous pas bien quel tort ces sortes de querelles nous font parmi le monde ? Et n’est-ce pas assez que les savants voient les contrariétés, et les dissensions qui sont entre nos auteurs et nos anciens maîtres, sans découvrir encore au peuple, par nos débats et nos querelles, la forfanterie de notre art ? Pour moi, je ne comprends rien du tout à cette méchante politique de quelques-uns de nos gens ; et il faut confesser que toutes ces contestations nous ont décriés, depuis peu, d’une étrange manière, et que, si nous n’y prenons garde, nous allons nous ruiner nous-mêmes. Je n’en parle pas pour mon intérêt ; car, Dieu merci, j’ai déjà établi mes petites affaires. Qu’il vente, qu’il pleuve, qu’il grêle, ceux qui sont morts sont morts, et j’ai de quoi me passer des vivants ; mais enfin, toutes ces disputes ne valent rien pour la médecine.
Puisque le Ciel nous fait la grâce que, depuis tant de siècles, on demeure infatué de nous, ne désabusons point les hommes avec nos cabales extravagantes, et profitons de leur sottise le plus doucement que nous pourrons. Nous ne sommes pas les seuls, comme vous savez, qui tâchons à nous prévaloir de la faiblesse humaine. C’est là que va l’étude de la plupart du monde, et chacun s’efforce de prendre les hommes par leur faible, pour en tirer quelque profit. Les flatteurs, par exemple, cherchent à profiter de l’amour que les hommes ont pour les louanges, en leur donnant tout le vain encens qu’ils souhaitent ; et c’est un art où l’on fait, comme on voit, des fortunes considérables. Les alchimistes tâchent à profiter de la passion qu’on a pour les richesses, en promettant des montagnes d’or à ceux qui les écoutent ; et les diseurs d’horoscopes, par leurs prédictions trompeuses, profitent de la vanité et de l’ambition des crédules esprits. Mais le plus grand faible des hommes, c’est l’amour qu’ils ont pour la vie ; et nous en profitons, nous autres, par notre pompeux galimatias, et savons prendre nos avantages de cette vénération, que la peur de mourir leur donne pour notre métier.
Conservons-nous donc dans le degré d’estime où leur faiblesse nous a mis, et soyons de concert auprès des malades, pour nous attribuer les heureux succès de la maladie et rejeter sur la nature toutes les bévues de notre art. N’allons point, dis-je, détruire sottement les heureuses préventions d’une erreur qui donne du pain à tant de personnes. » (Acte III, Sc. 1)
Le Songeur (02-02-2017)
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