AFBH-Éditions de Beaugies 
AFBH

La véridique histoire
du
CÉRÉBRO-SCRIPTEUR

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L’ingénieur Jean-Pascal Félix, niant avoir écrit un texte ordurier qui a scandalisé son épouse, révèle à Jika le secret de son invention.

Jika, le visage fermé, les yeux un peu rougis, n’était guère prête à entendre Jean-Pascal. Mais comme elle était foncièrement bonne, et prêtait sa bonté à autrui, elle voulut bien adhérer à sa version de l’incident. Du moins à la première qui s’imposait : le probable harcèlement, sur son blog, d’un site pornographique.

Cependant, Jika sentait bien au trouble de Jean-Pascal que le mystère était loin d’être entièrement dissipé. Celui-ci avait un secret, qu’il ne pouvait garder davantage. Et quel que fût ce secret, un époux qui révèle un secret est tout de même un époux qui a su le cacher. Jika flairait et sentait d’étranges choses, en lien avec le supposé piratage, et questionnait :

— Mais pourquoi ton système était-il allumé ? Avais-tu laissé l’ordinateur faire tes recherches à ta place ? Et pourquoi t’enfermes-tu si souvent ? Quel est ton but ? Enfin, que cherches-tu, en t’isolant, sans rien me dire ?

Jean-Pascal comprit qu’il ne pouvait plus taire l’événement qu’il préparait en secret, depuis des mois et des mois.

— Eh bien : ça, fit-il, en exhibant sa « clef USB ». Voilà, ce que je cherchais.

— Qu’est-ce que c’est ?

— Un Cérébro-Scripteur.

— Un quoi ? Ce n’est qu’une clef ?

— Tu crois cela ? Il est grand temps que tu le saches : mes travaux sont sur le point d’aboutir ! Et je n’ai pas cessé de penser à toi, au cours de cette longue recherche. À toi, et à ton métier de traductrice de langues orientales… Je voulais te réserver la surprise de mon invention.

— Je ne vois pas le rapport avec mon métier !

— Justement : cette clef « banale »… n’est pas banale. En réalité, c’est une Traductrice !

— Une traductrice ?

— Parfaitement. Comme toi !

— Ah oui ? Et que traduit-elle ? De l’hébreu, du javanais, du chinois ? Du russe ? Tant qu’à faire, ça m’arrangerait.

— Bien mieux que cela !

— Quoi alors ? Pourquoi te taisais-tu ?

— J’avais peur que tu doutes et que tes doutes ne me fassent douter de moi-même. Car ma traductrice, figure-toi… me croiras-tu ?

— Eh bien ?

— Ma traductrice transcrit simplement… tout ce qu’énonce mon cerveau !

Et ce disant, Jean-Pascal pointait son index sur sa tempe, comme pour signifier « Il y en a, là-dedans. »

Jika tombait des nues. Jean-Pascal prit sa respiration.

— Rappelle-toi, dit-il, rappelle-toi…

Cela faisait trois ans déjà. Un de leurs amis, écrivain bientôt connu, leur avait fait part d’un désir qu’il avait peine à confesser : écrire à distance, simplement en songeant, du fin fond de son lit. Étrange idée d’un auteur paresseux ? Peut-être. À cela près qu’il ne devait pas être le seul. Mais l’ironie du sort voulait que, rêvassant dans ses draps, il avait été traversé de maintes idées prometteuses, tandis qu’une heure après, à sa table de travail, rien ne lui restait plus des imaginations ou des formules inspirées qui lui étaient venues à l’esprit. D’où son besoin, et son souhait : posséder une sorte d’appareil télépathique capable de saisir, transmettre, puis transcrire sur son ordinateur, la moindre des pensées susceptible d’éclore en son for intérieur. Et c’est alors que notre fainéant d’écrivain mit au défi l’ingénieur Félix de mettre au point une traductrice en temps réel de ses réflexions latentes ! Sa pensée retranscrite en un texte informel, il n’aurait plus alors qu’à en corriger le style. Quel gain de temps, quelle moisson d’idées lui vaudrait cet outil magique !

— Eh bien, voilà, conclut Jean-Pascal Félix : je me suis mis au travail… et cette traductrice, la voici ! Je l’ai conçue, élaborée, bricolée en secret, expérimentée. Elle est maintenant presque au point. Tu t’allonges, tu appuies sur le bouton, le système se met en marche. Il ne te reste plus qu’à penser, et le Cérébro-scripteur, comme son nom l’indique, traduit, émet, puis, à distance, transcrit sur ton ordinateur ce qui émane de ta cervelle ! Il n’y a plus qu’à imprimer.

Il y eut un silence. Jika n’en revenait pas.

Jean-Pascal reprit :

— J’ai sans doute quelques tests encore à opérer. J’attendais de régler les derniers petits problèmes, le peaufinage définitif, pour t’offrir enfin ton Cérébro-scripteur personnalisé, dans une version compatible avec un cerveau féminin. Je rêvais de cette joie ! Bon, elle se produit plus tôt que prévu, l’incident de cette nuit ayant précipité les choses. Tu sais donc presque tout de mon secret. À nous, maintenant, de le garder !

— Tu as raison, n’importe qui pourrait…

Puis, songeant au piratage nocturne dont il disait avoir été victime, elle s’exclama :

— Mais alors, cette page qui s’est imprimée cette nuit, elle pourrait être due à une tentative d’espionnage ?

— C’est bien LA question qu’on doit se poser.

— On aurait pénétré ton système malgré toi ?

— En principe non, je le verrouille. À distance, seul le Cérébro-scripteur peut mettre en marche l’ordinateur. Dès que je désire imprimer mes pensées, il me suffit d’effleurer le bouton de mon appareil digital.

— Ah, bien ! dit-elle. Tu as tout prévu. Comme d’habitude.

— Autant que possible. De surcroît, je garde constamment l’appareil sur moi. On ne sait jamais. Parfois même, la nuit, je glisse la Clef sous l’oreiller, quand tu es endormie. Tu vois, il n’y a pas de mystère !

Jika sourit.

Puis, soudain :

— Mais si tu effleures le bouton par mégarde, en t’agitant dans ton sommeil, que se passe-t-il ? Est-ce que le système enregistrerait tes rêves ou tes désirs, à ton insu ?

— Que veux-tu dire ?

— Oh, rien. Tu remuais beaucoup cette nuit...

(À suivre)


Le Songeur  


(Episode précédent de la Véridique histoire du Cérébro-Scripteur)