AFBH-éditions de Beaugies 
AFBH

Courte histoire extraite de Youm, le cheval qui lisait avec ses narines


SCOOPS


Youm, le cheval qui lisait avec ses narines

Réveillé tôt par le caquetage de volatiles se relatant un fait divers, Nicolas se leva, se frotta les yeux, ouvrit les persiennes…

Et ce fut l’incroyable événement de la naissance du jour. Le soleil – qui l’eût cru ? – était en train de gravir le ciel en une sorte de ralenti vertigineux, indifférent à l’horizon qui se creusait sous lui.

Mais à peine Nicolas eût-il contemplé cette nouveauté qu’il fut distrait par le grondement silencieux d’un insecte qui chutait dans l’herbe, au bord de la terrasse. D’un zoom, il observa ce tsunami, non sans compassion : une fourmi avait grimpé sur quelques brindilles enchevêtrées quand, tout à coup, une goutte de rosée avait fait crouler l’échafaudage !

Son œil fut alors capté par l’éclair lointain d’un chevreuil qui jaillit des bois pour y re-bondir aussitôt.

Il leva la tête, à l’écoute de l’aube. À l’Est comme à l’Ouest, il n’y avait rien qui ne fût nouveau. L’église ressuscitait des limbes de la nuit. Surpris de n’y entendre pas le chant du coq, Nicolas frémit à la pensée que ce silence, inhabituel, annonçait quelque catastrophe imminente ourdie dans la profondeur des forêts. Une tempête prochaine ? Une éruption volcanique ? Qui sait ?

« Bah ! se dit-il, le coq a dû déjà jeter son cri », ce que parut confirmer une bande de chiens qui aboyaient au loin, sans pourtant qu’aucune caravane passât.

L’instant d’après, il crut percevoir dans les hauteurs les battements d’ailes d’invisibles migrateurs qui, en provenance directe de l’Espace-Temps, se révélèrent les échos fragiles mais indéniables du big-bang originel.

Puis l’Aurore, embrasant soudain les cieux, lui offrit le spectacle de marbres dernier cri que reformaient sans cesse des nuages innovants. Une lumière rasante traqua comme un phare de police les ombres des champs, obligeant l’écume du matin à blanchir hâtivement le blé sale. Les haleines vives de la brise du bois éveillèrent les prairies, d’où jaillit une foule de rumeurs qui furent autant de scoops pour gazettes animales. On entendit même, du haut d’un peuplier, un corbeau sinistre commenter de ses croassements les aléas d’une sombre guerre – le pugilat sanglant de bêtes citoyennes qui se disputaient une même zone de broussailles.


Par bonheur, la mélodie céleste couvrit ces clameurs. La brume se dissipant laissa apparaître une galerie de sapins qui semblaient s’être parés au goût du jour, pour quelque défilé de haute couture. Une mésange chanta Je suis une mésange pour rassurer son public, et dans le silence qui suivit, tout se précipita : une rose émue s’ouvrit au baiser d’un papillon ; des plantes, agenouillées la nuit durant, se redressèrent à l’appel des cieux ; une musaraigne se faufila tranquillement entre les herbes, avec entre les dents une grenouille inanimée ; la chaumine embrumée du voisin traça sur l’azur la signature tremblante de sa cheminée ; quelque part, il y eut le ruissellement d’une vache qui pisse, tel un entrefilet entre deux nouvelles de taille ; le mulet pensif, immobile au fond de la pâture, retrouva en s’ébrouant les troublantes questions qu’il se pose depuis toujours – comme tant d’autres – sur son identité sexuelle ; et parmi les gouttelettes irisées de la pelouse, un silex resplendit soudain d’une gloire éphémère, dont l’éclat fit la Une de l’actualité…

Le journal du vivant fourmillait d’événements ! et les parfums, les couleurs et les sons, et tous ces bruits du monde qui pénètrent sans bruit les multiples sens de l’animal humain, se pressèrent au visage de Nicolas comme autant de messages inouïs qui le subjuguaient, le comblaient, l’écrasaient de l’Infini des choses qui se produisent à chaque instant… jusqu’à ce que la vertigineuse et tendre oppression du Réel lui fût insoutenable.


Alors, il ferma les volets, regagna son lit. Et mit la radio sur France Info, histoire de respirer.