AFBH-Éditions de Beaugies 
AFBH

Les Jeudis du Songeur (107)

L’INSOMNIE QUI NE FINIT PAS

— As-tu reçu ce soir le même Appel que moi ?

— Venu du fond des brumes ?

— C’est cela. Ou d’une contrée antique perdue dans les montagnes.

— Et qui revient souvent, la nuit, jusqu’au petit matin ?

— C’est cela. Le grand râle humain, jeté dans l’univers, dont tu ne sais s’il sort de toi ou vient d’ailleurs !

— Mais toujours lancinant…

— Comme un soupir stupéfié qui traverse les Temps !

— Seul ?

— D’abord unique, et puis multiple ! Une plainte qui s’élève et qui devient vacarme.

— Une multitude gémissante ?!

— C’est cela. Des cris de terreur assourdis, dont l’écho se meurt à l’infini.

— Je les pressens. Je les devine, je les perçois. Parfois même, je m’en souviens !

— Tu ne les entends pas ?

— Les nuits de non-sommeil, étrangement, je perçois tout sans rien entendre. Même les sons : je crois les voir qui se meuvent dans un silence intemporel. Ma conscience est un songe éveillé.

— Écoute, écoute le grand manège sidéral ! Les astres s’entrechoquent et se démultiplient ! Les Terres grouillent et s’entr’ouvrent, et ce sont des légions de clameurs qui jaillissent dans le fracas des tombes ! Ça souffre et se tortille, partout dans l’univers, et ça s’appelle la vie. Les étoiles nous regardent, mais le ciel nous ignore. Des fragments de cosmos strient l’espace noir d’éclairs mourants. Écoute ! Tu n’en finiras pas de contempler la magnifique absurdité des choses de ce monde.

— Oui, c’est cela. L’harmonie tragique d’une houle insonore. Je crois entendre, en creux, le tumulte mêlé des humains et des astres ! Je pressens quelque chose d’une roue colossale qui tournerait au ralenti, tapie dans les confins nébuleux. Dans le désert interstellaire, je perçois comme un vague bruit de fond continu, l’écho étouffé de foules défaites, de foules incessantes qui marchent en silence sur des chemins sans traces.

— Dormant debout ?!

— Hagardes, exilées, blessées, terrifiées, abandonnées, oubliées !

— Sans paroles ?

— À jamais inécoutées ! Elles s’avancent et murmurent, elles s’écrient ou se taisent… Toujours en vain ! Loin d’elles, dans le noir, un éternel enfant perdu sanglote depuis l’aube des temps. Autour d’elles, je crois voir d’immenses torrents de matière muette, qui grondent sans fin dans le vide spatial où tout s’ensevelit. Rien ne gémit sur leur passage !

— Les galaxies explosent comme des éclats de rire !

— Les étoiles se fuient, les civilisations s’entredéchirent, l’Humanité est à la Peine !

— Tu souffres ? Tu admires ? Tu pries ?

Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie !

— Le Créateur, semble-t-il, n’en revient pas de ce qu’Il a créé.

— Le Soleil, la Terre, la Vie, l’Amour, la Mort…

— L ’Appel de la vie, l’Espérance de l’amour, la Sentence de la mort !

— On dirait qu’un téléphone cosmique grelotte au firmament… Mais Dieu n’est pas au bout du fil.

— Qu’en savons-nous ?


L’Homme sera en agonie jusqu’à la fin du monde… comment peut-on dormir, pendant ce temps-là ?

Le Songeur  



(Jeudi du Songeur suivant (152) : « QUAND L’ENVIE TUE LE DÉSIR… » )

(Jeudi du Songeur précédent (151) : « MA MÈRE DISAIT » )